Pourquoi tu danses quand tu marches ?, Abdourahman A. Waberi (par Jean-François Mézil)
Pourquoi tu danses quand tu marches ?, Abdourahman A. Waberi, JC Lattès, août 2019, 250 pages, 19 €
Il y a des livres qu’on ne peut avaler, d’autres qu’on savoure ; des livres qui nous tombent des mains, et d’autres qui nous ravinent et nous ravissent par l’ampleur de leur écriture ; des livres qui n’ont sur nous aucun effet, tandis que d’autres nous bousculent et nous emportent sous le souffle de leurs phrases ; des livres qu’on lit depuis le trottoir d’en face, et ceux qui nous font traverser et nous forcent à les suivre dans des ruelles obscures et parfois mal famées ; des livres qui glissent sur nous sans qu’on sente la moindre caresse ou qui, au contraire, tailladent notre conscience et font saigner nos propres souvenirs.
Pourquoi tu danses quand tu marches ? n’est d’aucune des deux catégories : il n’a rien d’un fleuve impétueux, mais n’est pas non plus une eau morte.
Qu’en dire ?
La phrase est correcte, appliquée, mais je n’ai trouvé que de rares passages où l’on sent poindre l’écriture. Certains trouveront du charme à ces souvenirs d’enfance que l’auteur raconte à sa fille. Souvenir d’un petit garçon né en CFS (Côte française des Somalis) qui habite le quartier du Château d’eau. Mais l’exotisme ne suffit pas à faire littérature : « Ina Peugeot vendait des beignets, des cornes de cacahuètes et des œufs à la coque devant la cour de notre école ». On imagine Gabriel García Márquez nous parler d’Ina Peugeot… ça aurait une autre saveur !
Tout (ou presque) est premier degré. C’est prémâché, mâché, sans épices : on n’a plus qu’à ouvrir la bouche pour ingurgiter la bouillie, une cuillerée pour Papa, une cuillerée pour Maman – il est vrai que l’auteur s’adresse à une enfant de sept ans.
Un exemple ?
« D’une main tremblante, Maman a nettoyé le pus, étalé sur mon genou une teinture d’iode sensée éloigner les bactéries et leurs miasmes morbides. Il ne lui restait plus qu’à enrouler le pansement autour de mon petit genou ». Pensons à la façon dont Marcel Proust aurait décrit la même scène…
Ce roman est aseptisé.
Quand l’auteur, autre exemple, nous parle de sa peur de « tomber sur des voyous », on ne ressent cette peur à aucun moment, le rythme de la phrase ne s’accélère pas, les émotions du narrateur nous restent abstraites. Il se contente de nous dire : « Les brimades redoublaient. Je devais repartir en dansant sur une jambe ».
Il arrive toutefois qu’émerge une petite musique : « Un parfum d’acacia flotterait sur les toits de fortune, une odeur de terre retournée monterait dans le ciel, portée par une brise venue de la mer, et finalement des effluves d’iode et d’algues nous chatouilleraient le nez ».
La phrase adopte parfois un tempo plus alerte, comme dans le passage sur la circoncision : « Ils parlaient de mon “voile”, ma “coque”, ma “pelure”, ma saleté ».
Mais à peine sort-on la tête de l’eau, que pof ! on est replongé dans le marigot.
On notera cependant un soubresaut dans les dernières pages.
Il était temps, diront les mauvaises langues.
Jean-François Mézil
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