Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, Claude Donnay (par Philippe Leuckx)
Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, L’Arbre à paroles, mai 2022, 110 pages, 14 €
Ecrivain(s): Claude DonnayL’anaphore (poème) ordonne les titres des quarante longs poèmes que Donnay consacre à « la rouille des jours », période noire « de la guerre à exporter » ou autres « ondes noires/ qui suintent des murs ». Friand de poésie et de prose américaines, le poète anime « la route » de ces textes empreints d’actuelle vérité, le « vide des écrans » et la mélancolie sourde qui les nourrit car ces poèmes de souffle, de long cours, respirent une connaissance du monde d’aujourd’hui, tactile et bienveillante quels que soient les accrocs, les avanies. Et tout n’est pas sombre, il y a « le bonheur à gober », les villes enamourées comme Paris pour donner le change et équilibrer ce regard de poète dense :
« Il me reste Paris pour toiser les réverbères
et filer les faux prophètes aux dents jaunes,
un papillon de nuit épinglé au revers de ma veste
conjurer les stylets plantés dans les pupilles » (p.99)
La lucidité du trait, de l’autoportrait (acide), l’impact du temps, les rumeurs, « les transhumances » de ces mangeurs de temps et de routes : le poète conforte sa vision, durcit le ton, travaille sur la longueur et le rythme. Qu’il longe la Meuse, participe à la fête, savoure le temps parisien, le poète reste un épicurien raisonnable – si la rencontre des deux ne sonne pas trop la contrariété.
Brautigan, Cendrars, Kerouac sont du voyage et la beauté des titres a des accointances satiennes (poème pour une histoire d’oreilles). Proche de la nature, le poète Donnay donne à goûter de nouveau – après ces pandémies, confinements – au « présent », à l’été, même si « l’aube en détresse » annonce d’autres couleurs. Le ticket de la poésie valable jusqu’à toutes les stations est ici écriture descriptive, où les images personnifient la vie, même battue par la mouise.
« Les mots ne font pas d’ombre » (p.46)
« On dit… que les poètes allument des lumières » (p.32)
L’écriture s’est encore affinée, mêlant un lyrisme corseté d’ordinaire et la vague agitée des images de désillusion où vivent des « nouveau-nés pucés à la sortie ».
« Un soir aux dents limées, au cœur fendu,
un soir d’écluse où l’on rêve aux grandes marées,
un soir de toquard
qui refuse de sauter le pas vers la nuit » (p.48)
Philippe Leuckx
Claude Donnay, né en 1958, est un écrivain belge, poète et romancier. Citons, parmi vingt titres : Mémoires d’un chien bâtard ; Ressac ; La route des cendres.
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