Pourquoi j’ai construit une maison carrée, Jean Guilaine
Pourquoi j’ai construit une maison carrée, juin 2013, 333 pages, 8,70 €
Ecrivain(s): Jean Guilaine Edition: Babel (Actes Sud)
On prend plaisir à lire cette histoire qui prend place au Proche-Orient, il y a 10.000 ans, on peut la considérer comme un divertissement agréable, mais c’est aussi une intéressante source de réflexion. Elle pose surtout un questionnement qui reste d’actualité : le progrès est-il toujours un progrès ?
Nous plongeant dans cette période néolithique qui fut un grand tournant de l’histoire humaine, elle met en scène en version accélérée et avec humour les diverses étapes de la transition entre le mode de vie multimillénaire du chasseur-cueilleur nomade et celui de l’agriculteur-éleveur, la naissance des premiers villages, l’abandon de la tente, puis de la maison ronde pour les bâtisses carrées à une, puis plusieurs pièces, la découverte de nouvelles techniques comme le tissage, la terre cuite. A chaque pas en avant, outre un confort bien réel, correspond aussi l’apparition de problèmes inconnus jusque-là : avec l’entreposage de céréales, l’invasion de rongeurs et en contrepartie la domestication du chat ; avec la concentration de bêtes, des maladies ; avec la découverte du tissage, le souci de l’apparence ; avec le sédentarisme, la propriété et la convoitise, donc le besoin de se protéger ; avec les premiers villages fortifiés, la guerre, et avec la vie en société de plus en plus organisée, le goût du pouvoir, du luxe et de la luxure…
Le personnage principal du roman est Cando, jeune adolescent au départ, il fait partie d’un groupe qui vit encore à l’ancienne, de chasse, de pêche et de cueillette. La rencontre avec des populations plus avancées, nommées ici « les cousins » va transformer peu à peu leur façon de vivre, au grand dam de Goluk, ardent défenseur des traditions et porte-parole autoproclamé des ancêtres. Ce dernier combat avec virulence toute nouveauté, y voyant automatiquement perversion de la tradition et donc promesse d’innombrables malheurs à venir – parfois les évènements lui donneront raison. Le père de Cando, au contraire, est doté d’un esprit curieux et ouvert, il accueille chaque nouveauté avec le plus grand intérêt, et lui-même sera à l’origine de la technique des pots en terre cuite et du modelage de figurines qui donneront lieu à des cultes, qui finiront par s’opposer. Cando apprécie Goluk pour sa sagesse, son savoir et aime tout autant sinon plus son père, même si ce n’est peut-être pas son vrai père.
Il se retrouve tiraillé entre deux visions totalement antagonistes. Sa fougue adolescente lui fait cependant pencher pour l’enthousiasme que procure la découverte incessante, le plaisir aussi d’une vie plus confortable. Pourtant, amoureux de Loula, qui est une fille de Kalum, le même village que lui, il se retrouve lui-même en butte avec une tradition que même les plus modernistes ne souhaitent pas voir changer : l’obligation d’aller prendre épouse dans une autre communauté. Aussi lorsque Loula et sa famille, Les Montému, proches dans leur façon de voir du vieux Goluk, suivront ce dernier pour l’île aux pierres vertes, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Chypre, Cando se retrouve face à un cruel dilemme : oublier Loula ou perdre sa famille. Il fera le choix de partir plutôt que de prendre femme dans un village voisin. Après quelques aventures, il retrouvera donc Loula, sa famille et Goluk, à Khiro, un village où les maisons sont toujours rondes, sur l’île aux pierres vertes. Un village cependant protégé par une immense muraille de pierres. Là, il prendra Loula pour femme et tâchera d’être heureux. Ils auront trois enfants. Mais cette vie à Khiro, sous la coupe d’un Goluk toujours plus fanatique du non-changement, avec les autres habitants qui eux aussi refusent toutes formes d’évolution, finira pas ne plus lui convenir. Cando fera alors le choix d’être un homme libre et ira vivre avec sa famille proche, à l’écart de toute communauté. Quand il retournera finalement à Kalum, pour essayer de revoir sa famille, beaucoup de temps a passé, ses cheveux et sa barbe ont blanchi, et ce qu’il va trouver sur le continent ne lui plaira pas du tout, mais il découvrira que lui-même est devenu un homme sage, sobre, mais libre et indépendant, ayant réussi à établir en lui un équilibre entre le progrès à tout va et un fanatisme obscurantiste.
Une leçon qui demeure, peut-être plus que jamais, d’actualité.
Cathy Garcia
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