Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Patrick Modiano (2ème article)
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, octobre 2014, 160 pages, 16,90 €
Ecrivain(s): Patrick Modiano Edition: Gallimard
Ce qu’il y a de bien, avec Patrick Modiano, c’est que, contrairement à ses personnages, les lecteurs ne sont jamais perdus dans ses livres. Normal, ironisent certains, puisqu’il écrit toujours le même. C’est toujours l’histoire d’un homme qui marche dans les rues de Paris, la nuit et par temps de brume, à la recherche de son passé, de ses parents, de ses origines. Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier n’échappe pas au dogme. Il en serait même une sorte de quintessence, avec un titre fusion de deux précédents titres, Quartier perdu et Dans le café de la jeunesse perdue.
Soit. Sauf que. Sauf qu’en vérité c’est presque toujours le même livre, mais pas tout à fait non plus le même livre, et que tout réside dans le « presque », que là que se niche l’immense talent de l’auteur, que, là, tient son univers, son œuvre. Modiano, jusqu’à présent, a toujours su apporter une nouvelle nuance à la nostalgie, donner une nouvelle dimension à la mélancolie.
Soit. Sauf que. Sauf qu’en vérité ça prend moins bien cette fois. Pourquoi ? Peut-être à cause de l’excès. Incroyable. Aurait-on pensé parler d’excès un jour au sujet de Modiano ? Et pourtant… Pourtant tout est excessif dans ce roman-là, poussé à la caricature, comme si, à l’image de certains comédiens qui se parodient eux-mêmes, Modiano s’était mis à caricaturer Modiano. Tout est trop : l’imprécision des actes des personnages – ils semblent faire ceci ou cela mais n’agissent pas réellement une seule fois –, l’imprécision de leurs émotions – ils paraissent éprouver ceci ou cela mais ne ressentent pas réellement une seule fois – l’imprécision de leurs réponses aux questions de Jean Daragane sur son passé – ils se contentent de balbutier des éléments de réponses, comme d’habitude mais encore plus que d’habitude…
Bref, il n’y a que des bribes de tout, qu’un long bégaiement du début à la fin, qui peut agacer, même les inconditionnels dont je suis, et qui reste insuffisant pour constituer un ensemble. Jusqu’à la trame, elle aussi seulement ébauchée, puisque nous commençons avec deux personnages, Gilles Ottolini et Chantal Grippay, que Modiano abandonne à mi-chemin pour ne plus jamais nous reparler d’eux. Qu’un auteur méconnu s’avise de présenter un manuscrit ainsi construit à un éditeur, il se fera recevoir.
Que dire d’autre ? Bravo, tout de même, à Modiano, pour son prix Nobel de littérature, pour son talent ? Et qu’il y aura d’autres livres ? Et tant pis pour celui-ci ? Oui, disons cela, restons sur une note optimiste. En attendant le prochain, relisons Vestiaire de l’enfance, Un cirque passe, La Petite Bijou. Pour ne citer qu’eux.
Laurent Bettoni
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