Pour en finir avec l'espèce humaine, et les Français en particulier, Pierre Drachline
Pour en finir avec l'espèce humaine, et les Français en particulier, septembre 2013. 177 p. 15 €
Ecrivain(s): Pierre Drachline Edition: Le Cherche-Midi
Dans ce livre de Pierre Drachline nous découvrons comme un nouveau Discours de la servitude volontaire, mais depuis le monstre froid de l'Etat a bien grandi et c'est un mal tentaculaire et omnipotent qui nous enserre dans le renoncement de nous-mêmes. Comme La Boétie, Pierre Drachline constate ahuri la force d'inertie des hommes, l'auto-conformation à l'ordre, ce vice de la servilité. Mais point de généalogie de la lâcheté, de simples coups de pinceaux pour tirer le portrait de la médiocrité humaine. La voix tonitruante, l'auteur se déchaîne contre ces abonnés absents du monde, incapables de passions et de désordre, ces nouveaux morts-vivants entre lesquels il passe avec aversion et refus. Il fait partie de ces rares qui conservent le souvenir de leurs droits naturels et sont indomptables. Il y a alors étalé le plus crument possible le dégoût des autres, sauf de quelques rares amis. Mais le misanthrope est son premier poison, tant il est plus aisé de se fondre dans la masse que de la fuir, "il faudrait pouvoir se perdre de vue. Un rêve d'aveugle." Pourtant, nulle envie de plaire, plutôt celle de déplaire comme il le prétend dans ce livre.
L'auteur veut déranger, bousculer, être honni afin que le plaisir de dénonciation soit complet. Une certaine perplexité peut saisir le lecteur face à ce déferlement irascible et tout azimut, dans lequel se confondent les luttes et les adversaires au point de n'entendre plus que la voix âcre et écoeurée de l'insoumis. On pourra sourire de cette envie prononcée de catastrophe, d'anarchie, de cet intérêt pour les criminels, les fous, ceux qui mettent à mal l'inertie sociale, on pourra tout aussi bien désespérer de cette haine sans retour. Il y a ce paradoxe qui dérange et questionne d'un homme qui vénère les passions de la vie, qui recommande aux hommes de ne jamais s'endormir, et ce goût de la désolation cynique sans proposition de sortie. Nécessité des amitiés dégrisantes et refus d'être compris nous ballotent sans savoir vraiment ce que nous veut la verve de Pierre Drachline.
En surmontant les émotions contradictoires qui nous charrient, nous lirons cette vindicte savante - accompagnée de références littéraires et historiques- et poétique, soulagé d'une telle liberté de ton "J'en ai fini enfin avec la lâcheté et l'hypocrisie. Béquilles de tout homme se mouvant dans la vase sociale. Désormais le ressentiment me tient chaud au coeur". Dans cette immense accusation de tous et de lui-même, on peut alors s'abstraire ou plonger et purger ses rancoeurs voire ses faiblesses. Une haine cathartique est à l'oeuvre, pour l'auteur comme pour le lecteur. "La parole doit être terroriste" dit l'auteur qui s'empresse de lâcher des bombes sur la dictature du nombre, du conformisme, des bobos, de l'hygiénisme, du politiquement correct, des bons sentiments d'une démocratie formelle où règne culpabilisation, avarice morale et matérielle, déconsidération des pauvres, des étrangers, des vieux, proscription du désir et tant d'autres symptômes d'une vie sans la vie. Mais la radicalité de l'auteur veut aussi dénoncer les pseudo-révoltés, les insoumissions partielles ; car sans excès la vindicte n'est rien. De cette léthargie sociale, il n'y a nul autre responsable que l'espèce humaine. Aimer la vie c'est haïr les hommes. Nul goût du suicide, seulement du tir à bout portant. Un livre à l'étrange saveur de passion et d'acidité.
Entre colère, dégoût et indifférence qui sera le maître mot d'une méthode d'isolement, Pierre Drachline n'accorde aucune circonstance atténuante à aucun de ses ennemis. L'art de la diatribe fait résonner exécration, mais aussi souffrance du renoncement qu'impose la société, car "vieillir c'est se trahir", alors qu'il faudrait rester l'enfant que l'on a été. Il ne reste plus à la fin de ce discours que le chagrin d'un inconsolable, qui ne peut être compris que désapprouvé.
Sophie Galabru
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