Post-Minimalisme et Anti-form, Dépassement de l’esthétique minimale, Claudine Humblet (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Post-Minimalisme et Anti-form, Dépassement de l’esthétique minimale, Skira, Genève, 2017
Ecrivain(s): Claudine Humblet
Le livre de Claudine Humblet est pertinent car il se nourrit non seulement de ses connaissances mais aussi de ses rencontres avec les artistes d’un art qui s’édifie d’abord dans années 60-70 et réunit un certain nombre de créateurs. Celle qui connaît parfaitement l’évolution de l’art aux USA depuis la Nouvelle Abstraction puis L’Art Minimal offre ainsi le troisième temps de sa trilogie américaine. Elle met en avant l’importance des matériaux (quelle qu’en soit la nature) au moment où le ménage ayant été fait au sein des vieilles images écrasées sous le poids du passé.
L’art peut renouer avec des concepts structuraux auxquels et paradoxalement l’Anti-form donne voie en renouvelant le sens du geste, le choix du matériau et le positionnement de l’œuvre dans l’espace. Ils demeurent souvent méconnus en Europe. C’est le cas d’Eva Hesse, décédée très jeune, de Keith Sonnier qui récrée son propre langage formel, de Gary Kuehn, Lynda Benglis, Rill Bollinger, Alan Saret et – plus connu mais non le moindre – Richard Serra. Tous ces créateurs font clignoter dans les cases et caves du cerveau des lumières intempestives.
Par ailleurs Claudine Humblet montre comment sous le concept « post-minimaliste » se créent des systèmes aux ingrédients aussi radicaux qu’inédits. Ils canalisent l’imaginaire selon divers « impromptus ». Les artistes sont moins les infirmiers d’images que des chirurgiens qui sortent les théories des réflexes automatiques et détruisent les cartes du tendre de l’art plutôt que de la cicatriser.
Le jeu en vaut la chandelle : s’y éprouve l’amour des images et l’intelligence de la création. Elle devient la manière de penser matériellement en habitant le bas-de-casse, le bas de ligne de l’art pour travailler le regard. Manière de prouver que face aux théories qui pensent toujours trop tard s’élèvent des esthétiques en actes. Elles créent des lieux où les pouvoirs se contrecarrent. On ne sait plus qui imprègne qui. Aux questions : Qu’en est-il d’une image ? Quel en est son « esprit » ? jaillissent des réponses particulières là où tout échappe à un beau de décoration.
C’est aussi la preuve que les vrais créateurs iconoclastes radicaux anéantissent l’écart entre l’épaisseur des concepts et leur vernis. Ils permettent des mariages obsédants contre « nature » et un changement de paradigme dans l’histoire de l’art et de ses stéréotypes. Par son livre comme les œuvres dont elle parle, Claudine Humblet a l’immense mérite de déplacer le regard afin de prouver que l’art ne naît pas objet de désir : il le devient.
Jean-Paul Gavard-Perret
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