Polar algérien vous avez dit ?
Nous sommes une société où on parle beaucoup et de tout, sans tradition de l’écrit. Pas de trace. Sommes-nous encore dans les temps de l’oralité ? Nous avons toutes les sauces pour en faire le roman noir, mais nous n’avons pas d’écrivains de polar ! Nous vivons dans une société violente. Toutes les violences imaginables et inimaginables ; dans les langues, dans les gesticules, et même sur les traits des visages… font le quotidien des Algériens.
L’Algérien ne sait pas comment sourire !
Nous disposons de beaucoup de policiers, des centaines de milliers, tous genres de policiers, ceux en tenue officielle et ceux qui sont sans tenue officielle !! Tous grades. Toutes appellations possibles, et nous n’avons pas d’écrivains de polar ! Yasmina Khadra, tu me dis, une hirondelle ne fait pas le printemps. Et sa trilogie du commissaire Llob ne couvre pas tout ce paysage absurde.
Nous avons la corruption, tous genres de corruptions, économique, politique scientifique et culturelle. Nous avons des prisons remplies, surchargées. Toutes les couleurs de crimes. Du crime d’honneur jusqu’au crime de religion. Et nous n’avons pas d’écrivains de polar capables de dénicher les abeilles et les mouches, les éléphants et les singes !
Notre société est gangrenée par la drogue, tous genres de drogues, les douces et les dures, importée ou localement cultivée, largement consommée par toutes les couches sociales, dans les villes comme dans les villages, par tous les âges : des enfants de l’école primaire jusqu’aux étudiants de l’université en passant par les lycéens et les collégiens, les garçons comme les filles, et nous n’avons pas d’écrivains de polar à l’image de Serge Scotto de Marseille !
Dans La mort de l’entomologiste (Barzakh, 2007) Mohamed Balhi a essayé de toucher à ce déséquilibre vertigineux : un gendarme, un colonel, des pilleurs de sable, une étudiante en médecine, une traductrice, un prédicateur et même un critique d’art !! Mais Mohamed Balhi s’est arrêté là où il a commencé. Rien de plus, le commencement !
Nous vivons dans une société moisie par la prostitution, toutes les prostitutions qui peuvent exister : sexuelles, politiques et autres et nous n’avons pas d’écrivains de polar ! Tarik Djerroud dans Un cœur à prendre (éditions Tafat 2014) : un inspecteur sur les lieux du crime, à Tizi Ouzou, village en état de choc, une fille aux milles prétendants, un biologiste...
Nous avons assassiné un président.
Nous avons connu le putsch militaire.
Nous avons vécu la guerre civile.
Nous avons une histoire avec des assassinats politiques. Même pendant la guerre de Libération, le frère n’a pas hésité à tuer son frère du combat libérateur.
Nous avons une histoire qui s’appelle : Chaâbani. Une autre : Amirouche. Une autre nommée Khider ! Une autre Abane Ramdane… et nous n’avons pas d’écrivains de polar !
Tous les ingrédients du polar sont réunis, dans notre société, mais la littérature n’est pas là, ou elle est aveugle ! Peut-être, parce que le polar ne fait pas partie de la tradition de l’écriture dans notre culture, le roman noir est banni du champ littéraire.
Nous avons de la littérature blanche, de la littérature rose, mais nous n’avons pas de littérature noire. Nous n’avons pas d’écrivains de polar, mais, en contrepartie, nous avons une société avec tous les ingrédients du polar !
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Algérie)
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