Point cardinal, Léonor de Récondo
Point cardinal, août 2017, 224 pages, 20 €
Ecrivain(s): Léonor de Récondo Edition: Sabine Wespieser
Léonor de Récondo appartient à un type d’auteurs dont le suivi, d’un roman à l’autre, nous comble. Commencé avec Rêves oubliés, belle chronique d’une famille de réfugiés républicains espagnols tentant de maintenir le souvenir de l’autre côté des Pyrénées, continué avec Pietra Viva, pertinente interrogation sur la place de l’artiste dans la Cité, et enfin Amours, décrivant les tourments et déchirements d’une femme bourgeoise en proie à des sentiments déviants, Léonor de Récondo continue ce parcours par Point cardinal, son dernier roman. Cette romancière nous avait séduits par la précision de son écriture, son style dépouillé, la nuance dans l’élaboration des portraits et la restitution de la vie psychologique des personnages.
Autant dire d’emblée que nous retrouvons toutes ces qualités dans Point cardinal. Le décor c’est celui d’une petite ville, dans une région non située géographiquement. Laurent Duthillac est un bon père de famille, tout ce qu’on fait de plus classique en la matière.
Il vit avec Solange, professeure des écoles, rencontrée dans l’adolescence et pour laquelle il éprouve depuis cette période un vif amour. Ils ont deux enfants, Claire, âgée de treize ans, et Thomas, âgé de dix-neuf ans. Une famille on ne peut plus banale, un pur symbole du conservatisme social à ceci près que dès les premières lignes du roman, ce qui en rehausse immédiatement l’intérêt, Laurent se travestit dans un bar nommé le Zanzibar, où il y retrouve entre autres Cynthia, dans la même situation que lui. Cette situation pourrait durer, sans danger pour son couple et sa famille, mais lors d’un week-end prolongé durant lequel il se retrouve seul à la maison, il se travestit et laisse échapper par mégarde une mèche de cheveux blonds que son épouse découvre plus tard…
Le grand mérite de Léonor de Récondo est d’éviter le côté graveleux, racoleur vers lequel ce genre de récit peut basculer. Nous assistons fort heureusement à une tout autre exposition. C’est un coup de projecteur sur la formation de l’identité sexuelle d’un être humain qui est proposé ici, une illustration des souffrances engendrées par le doute sur cette identité, puis la certitude d’appartenir psychologiquement et psychiquement à un autre sexe… Ainsi, Laurent avoue-t-il à sa famille qu’il est une femme. La description du plaisir compulsif que prend Laurent à aller acheter des vêtements de lingerie féminine est révélatrice : « Il en achète trois, papiers, boîtes, emballages superflus, jetés dans la première poubelle. Il s’enferme dans les toilettes, se déshabille fébrilement (…) enfile la soie, remonte lentement la culotte le long de ses jambes, la plaque contre son ventre. La vague de plaisir submerge tout son corps. Une extase qui le transportant cœur battant au centre de sa chair, en son point cardinal, là où Mathilda pousse un cri ».
D’autres passages du roman explicitent cette recherche d’une nouvelle identité sexuelle : des souvenirs d’enfance liés au caractère viril des sports d’équipe, la sensation de ne pas éprouver la « justesse du corps ». Pourtant, Point cardinal est un témoignage sur le courage d’être soi, et pose la question de savoir jusqu’où peut aller la recherche d’une vérité personnelle. Dans ce cas, cette démarche conduit Laurent, après consultation d’un psy, d’un médecin, après une confrontation avec ses collègues de travail sur sa nouvelle identité sexuelle, à devenir Lauren : « Et maintenant, Thomas et Claire qui jouent, se disputent, grandissent. Lauren les voit si clairement, dans les vagues, le jardin, sous le soleil, sous la pluie, chaque jour unique et changeant, chaque jour qui passe avec Mathilda, avec toutes celles du Zani. Lauren en pleine lumière ».
Stéphane Bret
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