Poèmes Western, Estelle Fenzy (par France Burghelle Rey)
Poèmes Western, novembre 2018, 64 pages, 14 €
Ecrivain(s): Estelle Fenzy Edition: Editions Lanskine
Le dernier recueil d’Estelle Fenzy s’ouvre sur une naissance. Naissance d’un monde, naissance à la vie et, par là, une espérance : « Ici le voyage commence ».
Alors de la nuit naît l’aube. Des antinomies subsistent puisque restent « des ombres oubliées » et « Si l’on s’approche, quelles ténèbres à lire sur (le) visage »« d’une madone en prière ».
Cette fois-ci la poète a choisi comme rythme celui du verset qu’elle écrit court, alternant avec des pièces de plusieurs lignes. Un creuset qui privilégie à la fois le balancement et le heurt par le choc de phrases brèves.
Ce road-trip, dont le travail photographique de Bernard Plossu a été l’inspiration, emmène le lecteur dans une Amérique fantomatique. Le journal de bord ainsi conçu œuvre comme un film. Du gros plan au plan d’ensemble. Des confettis de « la maison de Peter » – on sait le regard de l’auteure sur l’enfance et son génie à en traduire la magie – de la camionnette, de Susannah Gun, la vieille au pistolet, jusqu’au brouillard « qui recroqueville la terre », jusqu’aux « champs de coton »et aux« sillons de bitume ».
L’axe du temps est, lui aussi, objet d’exploration poétique. On y parle du Texas d’avant Buffalo Bill, juste avant d’évoquer « Le Desert Motel » et les « Hangars fantômes ».Le lecteur poursuit un trajet aussi bien géographique, historique que poétique. Comme le vit la narratrice tout en s’interrogeant : « Qu’y a-t-il au-delà de la route ».
En attendant une réponse, elle espère grâce à un paysage à la violente beauté et qui, permettant d’Espérer l’accueil,touche au sacré, cela même si la neige, le blanc tentent de barrer la route. Car tout se fait « A perte de vue » comme l’exprime une anaphore. Quelques repères, malgré tout, existent : « les pompes à essence », « le cimetière »…
Cette route avec son asphalte bleu est un fleuve. Elle se tord aussi comme une « anguille ».
Puis vient à Santa Fe l’expérience du train, une sorte de « fuite ». Autant revenir sur la route et observer :
Route 25, direction El Paso
Il y a souvent des jeunes gens sur le bord. Sac de voyage aux pieds. Mains dans les poches.
Ils n’ont pas l’air de faire du stop. Ils semblent tombés d’un train. Ou d’une montgolfière.
Attendent-ils quelque chose ou quelqu’un.
Le rythme continue à mimer à la fois les obstacles et l’avancée au moyen d’une syntaxe qui se libère. L’écriture, dans sa concision, s’applique à décrire des images furtives : « Le cheval recule »,« Un school bus jaune canari », « La vitre est ouverte ».
La suite du recueil présente autant de tableaux divers où le temps, l’Histoire et l’espace, ces terres qui collent, dans ce journal de poésie, au rêve et à la peau de la narratrice, occupent toujours leur place. On peut y admirer l’art de la chute : « Elle avait nom Trinity »,« Comme elle est belle la solitude »,« Island in the sky ».
D’est en ouest se poursuit le voyage, bientôt jusqu’à Denver avec, soudain, un tableau sobre digne de Hopper :
A travers le store d’un coffee shop, apercevoir une femme en manteau rouge. Assise à une table.
A chaque page sa diversité quand, au poème Plateau du Colorado, l’imaginaire l’emporte :
La légende raconte qu’aux quatre coins de l’horizon des oiseaux de pierre tournent sans fin dans le sens du soleil.
Styles variés aussi avec, plus loin, des descriptions baroques pour un univers à la fois flamboyant et en mouvement :
Labyrinthe, dédale d’aiguilles. Cratères béants, orgues taillés. Processions minérales. Vol enflammé des aigles.
Green River. Canyons creusés, méandres tracés. Arches rougeoyantes à l’aube. Danse rampante des crotales.
Paradoxalement est mis en place un univers du « même ». « Un chant sans rupture »surun chemin identique à l’arrière et au devant qui sans cesse dégage une impression d’étrangeté de couleur ocre.
On ne s’arrête guère ensuite à l’« éblouissante »Las Vegas que décrit un des textes les plus courts. Ce n’est pas ce qui brille qui est l’objet du livre.
Mais de la nuit et du jour, quel est le moment le plus important ? Il faut savoir déjà qu’on doit : « Ne pas tout dire à la nuit ».
Au milieu de descriptions s’élaborent quelques portraits comme, dans un des derniers poèmes, celui, sans le nommer d’un homme « Parmi les pommes de pin. Dans une tente igloo ». La musique de son violon fait oublier la précarité de sa condition.
Le recueil s’achève, et toujours en kaléidoscope, sur fond du même paysage fantomatique où, par exemple, des buissons survivent « Au parfum brutal de la terre incendiée ».
Le voyage se termine, en une géographie toujours exhaustive, de Los Alamo à Klamath Falls avec un arrêt sur l’image pathétique d’« Une mariée romantique. Qui se déshabille en pleurant ».
La lecture se clôt sur le constat qu’« Il n’y a pas plus à l’ouest ». C’est une forme de mort, pour une humanité fragile, que celle des vagues qui « meurent » semble symboliser. « C’est le bout du voyage ».
France Burghelle Rey
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