Poèmes, Jean-Pierre Faye (par Didier Ayres)
Poèmes, Jean-Pierre Faye (éditions Polyglotte, 2013, 22 €)
Faisant face à une grande quantité de livres en attente dont je veux faire la chronique, cette anthologie de Jean-Pierre Faye et ses quatre cents pages m’ont imposé une lecture véloce. Cela ne m’a pas empêché de découvrir néanmoins le parcours d’une vraie route poétique, originale et intense. Le recueil m’est tout de suite apparu comme tourné vers le corps, les membres du corps ou encore, l’humidité de la chair, la fluidité du sang. Et cela parfois dans une langue hermétique. Donc, ici les éléments physiques fondamentaux, et une langue qui garde son mystère. Il faudrait peut-être relire encore cette anthologie de manière plus appliquée, sachant qu’une première lecture m’a fait aimer cette langue énigmatique. En tous cas, ce livre couvre les poèmes de Jean-Pierre Faye de 1939 à 2013, et s’oriente au fur et à mesure dans la recherche d’une poésie de l’incarnation. Nonobstant, je dirais mieux mon sentiment en rapprochant cette sorte de poésie orphique d’une poésie abstraite, capable de tenir le corps comme une composante géométrique, prosodique.
Mes cœurs de sang éclatés sur le ciel
Demain, là-bas où sanglote ma soif
A des confins de soleil et de vagues
En une ivresse, âcre de pollen
– Ce sang réel à bruire dans le rêve
D’ailleurs, la prosodie des poèmes est pareille à un souffle, brûle avec le brûlant, s’harmonise avec la beauté, devient capiteuse par son étrangeté, charnelle avec toute la possibilité de la quête de l’Éros. Il y a longtemps, j’ai écrit un texte, qui traitait de la nature féminine de l’écriture (laquelle depuis l’Égypte ancienne est gouvernée par la déesse des archives) en disant qu’écrire c’est « écrire-elle », si mon souvenir est bon. Je crois d’ailleurs que j’ai suivi en cela le philosophe Philippe Tancelin, alors mon directeur de thèse. Au reste, tous ces poèmes qui n’hésitent pas à convier les femmes comme créatures, cherchent le bord, l’apparence des choses, les membres, la surface, le bord de la femme, chair sans jugement de valeur.
j’ai de vous un entendement corporel
de vous j’ai connu figures d’un corps
et saveurs et goût, sucs et multiples
. stratège de vos corps et de son dessin
dessinée de soi-même et par tes lignes
chair de tes lignes et de pulpe et grappe
. mais arrachée à ton corps dessiné
esquisse de toi et rire, affamée de noir
et blanc, envahie de couleur
. surface toute profonde et tracée en corps
car c’est toi chair transformée riante
puisque chacun se prend l’autre
. quand je te ligne
le trait dessine leur corps deux à deux
immergés l’un dans l’autre par la limite
mais distincts par désir de l’un vers l’autre
[…]
On pourrait peut-être ici expliquer comment se définit cette poésie, qui poursuit une abstraction, abstraction au sens pur, où même le désir pourrait se calculer, se déduire d’un rapport du point au plan, puis du plan à la ligne. Donc, chercher le secret de la poésie de Jean-Pierre Faye dans le Point et ligne sur plan de Kandinsky. Je dis cela avec en moi comme dernière impression de la globalité du livre, ce mot augural de ligne qui parcourt les soixante-dix ans de la création littéraire de l’auteur, le mot ligne dont je n’ai pas percé l’énigme – à moins de la comprendre à l’intérieur de la conception d’un peintre non figuratif. Figure cabalistique ? ou simplement une ligne de démarcation entre le poème et la réalité ? Chacun verra sans doute en quoi cette approche à la fois hermétique et lumineuse porte soin au lecteur et à ses propres blessures.
Didier Ayres
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