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Poèmes, Jean-Pierre Faye (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 11.03.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Poèmes, Jean-Pierre Faye (éditions Polyglotte, 2013, 22 €)

Poèmes, Jean-Pierre Faye (par Didier Ayres)

 

Faisant face à une grande quantité de livres en attente dont je veux faire la chronique, cette anthologie de Jean-Pierre Faye et ses quatre cents pages m’ont imposé une lecture véloce. Cela ne m’a pas empêché de découvrir néanmoins le parcours d’une vraie route poétique, originale et intense. Le recueil m’est tout de suite apparu comme tourné vers le corps, les membres du corps ou encore, l’humidité de la chair, la fluidité du sang. Et cela parfois dans une langue hermétique. Donc, ici les éléments physiques fondamentaux, et une langue qui garde son mystère. Il faudrait peut-être relire encore cette anthologie de manière plus appliquée, sachant qu’une première lecture m’a fait aimer cette langue énigmatique. En tous cas, ce livre couvre les poèmes de Jean-Pierre Faye de 1939 à 2013, et s’oriente au fur et à mesure dans la recherche d’une poésie de l’incarnation. Nonobstant, je dirais mieux mon sentiment en rapprochant cette sorte de poésie orphique d’une poésie abstraite, capable de tenir le corps comme une composante géométrique, prosodique.

Mes cœurs de sang éclatés sur le ciel

Demain, là-bas où sanglote ma soif

A des confins de soleil et de vagues

En une ivresse, âcre de pollen

– Ce sang réel à bruire dans le rêve

 

D’ailleurs, la prosodie des poèmes est pareille à un souffle, brûle avec le brûlant, s’harmonise avec la beauté, devient capiteuse par son étrangeté, charnelle avec toute la possibilité de la quête de l’Éros. Il y a longtemps, j’ai écrit un texte, qui traitait de la nature féminine de l’écriture (laquelle depuis l’Égypte ancienne est gouvernée par la déesse des archives) en disant qu’écrire c’est « écrire-elle », si mon souvenir est bon. Je crois d’ailleurs que j’ai suivi en cela le philosophe Philippe Tancelin, alors mon directeur de thèse. Au reste, tous ces poèmes qui n’hésitent pas à convier les femmes comme créatures, cherchent le bord, l’apparence des choses, les membres, la surface, le bord de la femme, chair sans jugement de valeur.

 

j’ai de vous un entendement corporel

de vous j’ai connu figures d’un corps

et saveurs et goût, sucs et multiples

. stratège de vos corps et de son dessin

dessinée de soi-même et par tes lignes

chair de tes lignes et de pulpe et grappe

. mais arrachée à ton corps dessiné

esquisse de toi et rire, affamée de noir

et blanc, envahie de couleur

. surface toute profonde et tracée en corps

car c’est toi chair transformée riante

puisque chacun se prend l’autre

. quand je te ligne

le trait dessine leur corps deux à deux

immergés l’un dans l’autre par la limite

mais distincts par désir de l’un vers l’autre

[…]

On pourrait peut-être ici expliquer comment se définit cette poésie, qui poursuit une abstraction, abstraction au sens pur, où même le désir pourrait se calculer, se déduire d’un rapport du point au plan, puis du plan à la ligne. Donc, chercher le secret de la poésie de Jean-Pierre Faye dans le Point et ligne sur plan de Kandinsky. Je dis cela avec en moi comme dernière impression de la globalité du livre, ce mot augural de ligne qui parcourt les soixante-dix ans de la création littéraire de l’auteur, le mot ligne dont je n’ai pas percé l’énigme – à moins de la comprendre à l’intérieur de la conception d’un peintre non figuratif. Figure cabalistique ? ou simplement une ligne de démarcation entre le poème et la réalité ? Chacun verra sans doute en quoi cette approche à la fois hermétique et lumineuse porte soin au lecteur et à ses propres blessures.

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.