Poèmes du visage derrière la fenêtre, Louis Raoul
Poèmes du visage derrière la fenêtre, Ed. de la Crypte, coll. Les voix de la Crypte, 2014
Ecrivain(s): Louis Raoul
Dans les Poèmes du visage derrière la fenêtre, de Louis Raoul, domine l’élément eau, eau du ciel et des pluies de printemps, eau mouvante, transformatrice, eau qui meurt/ avec le souvenir d’une pierre d’enfance/ ou d’une grenouille de Bashô. La fenêtre ou la vitre, motif récurrent dans chaque poème, comme autant de reflets dans l’eau de ce visage en attente, celui du poète qui contemple depuis l’autre côté de la vitre, au matin ou le soir, d’une saison l’autre, perdu dans la chanson de l’air, dans l’attente, la solitude des jardins :
D’ici
Je vous devine
Femme à venir
vous n’avez d’enfant
que la parole
je vous devine
cachée sous l’orage
J’ai des choses à vous dire, nous annonce le poète dès le début, mais ce sont les jours qu’il apostrophe « ces jours à venir », tout autant que cette mémoire qu’il convoque à chaque recueil, lui qui oublie tout et si souvent. Il semble justement qu’il soit question de ne pas oublier, le poète s’exerçant par l’écriture à fixer le temps, la mémoire et les paysages si nombreux et si différents. Il ne faut rien oublier…
Il ne faut pas oublier les portes
Celle qu’on entr’ouvre
Pour faire respirer la chambre
Et cette autre où le dehors s’inquiète
De ne pas nous voir sortir
Et pousse du vent
Fraisant craquer le bois
comme un souvenir d’arbre balancé…
Dans la fragilité du soir et des jours recommencés, Louis Raoul nous rappelle notre vulnérabilité, et nous installe dans sa rêverie, nous transporte dans ses eaux. L’être voué à l’eau est un être en vertige. Il meurt à chaque minute, dit Bachelard. L’un et l’autre poètes, savent combien nos vies sont pénétrées de cet élément.
Les fenêtres du soir sont les plus silencieuses mais quand sa mémoire se fait sensorielle, passant du je au tu pour se donner le change, et mieux éprouver sa solitude, alors le poète se souvient :
Alors tu tiens le bol
comme d’un visage
ses deux joues
et se rompt à tes lèvres
le silence du lait
s’efface le blanc
dans ta gorge
Le besoin de se souvenir se mêle à la nécessité de retenir ces petits bonheurs si fragiles et fuyants qui traversent nos vies, renvoient à ces pertes dont on ne peut se remettre…
Il ne me reste plus
Qu’à quitter la fenêtre
Et aller m’asseoir parmi les morts
Dans les cimetières
Les bancs n’ont pas la même façon
De nous accueillir
Ils savent ce surplus de poids
Du manque
Et il y aura ce grand silence
Dans l’automne
Jusqu’à sentir le jour peser
Sur les feuilles de l’allée
On pense alors à Bachelard, qui dit que la peine de l’eau est infinie (L’eau et les rêves), le rêveur silencieux près de sa fenêtre observe le dehors, replié en son dedans, perdu dans ses songes d’eau.
C’est d’une écriture concise, ciselée, où chaque mot trouve sa place dans la sobriété et le dépouillement, que le poète convoque l’enfance, la solitude, la femme, la maison des souvenirs, tout derrière la fenêtre remonte dans la lueur du soir, dans l’air léger, dans le rectangle d’un paysage, dans la nuit d’une chambre à venir ou dans le plein jour d’un midi / passant sur les vitres.
Marie-Josée Desvignes
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