Poèmes à la musique - À propos de La troisième main, de Michèle Finck
À propos de La troisième main, de Michèle Finck, éd. Arfuyen, 2015, 13€
La relation de la poésie avec les autres arts, est une affaire vive et forte. Et c'est bien là l'effet, vif et fort, de ce livre de Michèle Finck, que je voudrais souligner. Car à partir de ces textes, on est plongé dans la profonde essence de la musique, c'est-à-dire, l'agrandissement, ou plus précisément la dilatation du temps. Et la poésie est assez vaste pour accueillir ce monde augmenté.
Dans ses mains le violoniste porte le monde
Passé et présent. Mais d'où venue la troisième main,
L'invisible, main de la grâce, qui se pose sur les fronts ?
Elle porte l'espoir d'une arche future de lumière. Bach
A écrit pour cette troisième main. Menuhin le sait.
C'est ainsi qu'opère tout le recueil, jouant sur les modes mineur ou majeur des signes indiciels de la musique, dans une incessante lutte contre le silence. Je dis contre, alors qu'il faudrait dire avec. Car la musique qui fait ici l'enivrement du poème, n'existe que par la dilatation du silence. Faire silence, est-ce peut-être là l'énigme de la musique ? Car aux odes à la musique du livre de Michèle Finck, le langage poétique confine aussi au spirituel, quelque chose qui balance autour de l'absence et de l'ellipse.
Son à la limite du silence
Tient tête au néant.
Plaies acoustiques cicatrisent.
Silence à réveiller les morts.
Heurte la musique le néant heurte.
La musique a besoin du silence, comme la poésie qui parfois est pareille. La poésie est à la musique, lui appartient en quelque sorte. Écrire de la poésie, c'est construire une demeure, créer un espace, insuffler un manque, se rendre accessible à la violence du vide, à la profondeur déclamatoire du langage en soi, à l'intérieur de soi. Peut-être est-ce le cas de l'écrivain, en manque de père, et ici particulièrement, à la disparition du père aimé ?
D'où vient la poésie de Michèle Finck ? Du milieu immatériel de la musique, de la résurrection incroyable du temps, d'une sorte de transsubstantiation du langage. Spiritualité / musique / poésie se reportent au poète / interprète / compositeur. Cette poésie est là, au croisement sacré de ces termes. La Troisième main, la main supérieure de la signification, parvient à rassembler en son sein, les hautes démarches de l'harmonie et l'ivresse de prononcer. Il faut bien avoir à l'esprit que l'auteur a écrit ces dizaines de poème "d'extase musicale" au milieu de la maladie et de la pénombre. En effet, à cause d'une opération de la cataracte, la poétesse a écrit ces poèmes non pas sur la musique mais à la musique.
Mais laissons les derniers mots à la poétesse, que je cite in extenso pour donner à voir la manière si particulière dont sont composés ces strophes :
Brahms : Un requiem allemand.
Herbert von Karajan. Philharmonie de Berlin.
"Selig sind, die da Leid tragen,
Denn sie sollen getröstet werden. "
Musique s'agenouille devant ceux que la souffrance
A rendu transparents. Cordes graves et choeur murmuré
Ouvrent leurs bras d'arbres en vol.
Musique : hantise du sacré.
Fait briller le givre translucide de la prière.
"Heureux les affligés
Car ils seront consolés" (Mathieu, 5,4).
Didier Ayres
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