Plein emploi, Jean-Claude Pirotte
Plein emploi, 176 pages, 15 €
Ecrivain(s): Jean-Claude Pirotte Edition: Le Castor Astral
Ouvrage posthume du romancier, poète et peintre Pirotte (1939-2014), Plein emploi propose six sections de poèmes très variés par l’écriture, par les thèmes aussi.
Dans cet ultime opus poétique, les noms d’autres poètes viennent caresser les vers, les baigner (le poète résida les derniers temps à la Mer du nord, sur la côte belge) d’une sérénité qu’il ne trouvait plus : la mort, en voisine encombrante, la maladie, à l’étage, les tracas du grand âge au vestibule, venaient tonner dans l’âme du poète. Alors les noms de Baron, Dhôtel, Fargue, Venaille, Reverdy, Perros… l’ancrent un peu plus en terre de poésie. Et Follain, sans doute le maître incontournable, de simplicité, ranime chez Jean-Claude les reliefs bénis d’une enfance toujours à prospecter, toujours à honorer de quelques vers :
décrivez le ciel du soir
dit le maître d’école
aux élèves qui le déçoivent
et le garnement que l’on colle
tous les jeudis de l’automne
prend la lune très au sérieux
il le raconte en son devoir
dépourvu d’orthographe
(…) (p.82)
L’enfance, les rimes, les sonnets, les petites comptines, la nostalgie fine reviennent dans les vers, puisque « jadis était l’enfance/ le jadis enfantin/ tout ce qui nous sépare/ et s’éloigne sans bruit » (p.124).
Une voix, fatiguée, un brin caustique, un rien ludique ordonne aux textes de bien se tenir dans le cousu main d’un sonnet poltron ou un quatrain rimé :
qu’est-ce qu’un sonnet sinon
un tissu de sornettes
un exercice d’enfançon
qui pleure quand on l’embête… (p.148)
Qui est à plein emploi dans ces textes qui continuent de virevolter selon un rythme de vieux manège et une fantaisie à l’heure des chagrins ? La mort, qui appelle ? L’enfance et ses songes ?
le plein emploi du songe-creux
c’est l’éveil dans la paille humide
même la paille des cachots
mais à quoi bon mourir d’ennui (p.166)
Le retour à l’enfance, si le poète le sait fragile, désespéré, consigne les splendeurs et les amertumes, ce goût de peinture en bouche quand « les enfants mangent la couleur » (mot de la fin), puisque « triste mémoire » d’une « dernière image/ du corbeau de l’enfance », le poème sert au fond à poser toutes les questions expertes ou idiotes, à demander un peu de souffle quand on souffre, un peu d’air au milieu des vilénies : « on se traîne », « on grimpe à l’assaut d’une motte » ; les vérités tombent, crues, désolantes, au milieu des vers, et puis, comme le dit Pirotte, « les poèmes voyagent à pied/ ils sont toujours en retard » ; et même les jours de congé « le temps ne sera pas au beau »…
Même désolée, cette poésie chante, pleure, simple, avenante, au bord de notre chemin. Elle est pleine de gendarmes, d’oiseaux, de temps gris, d’enfants tristes, d’« émois » de rimes « ça rime à quoi la rime », de « poèmes canés avant d’être nés ».
Un quatrain terrible mesure le temps du poète et la fin qu’il pressent :
de moins en moins de mots
et le chemin se perd
entre les branches nues
noires des arbres morts (p.50)
Le testament s’énonce avec légèreté, et une gravité qui nous rend sa poésie buissonnière, très voisine de nous lecteurs, comme si la poussière chagrine des chemins nous faisait, disons, éternuer un peu de temps.
Philippe Leuckx
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