Plasmas, Céline Minard (par Didier Smal)
Plasmas, Céline Minard, Rivages Poche, octobre 2023, 176 pages, 8,50 €
Ecrivain(s): Céline Minard Edition: Rivages poche
La plume de Céline Minard est incapable de résister à la tentation d’un bon sujet, d’une bonne histoire, à raconter d’un style implacable, une langue à la fois simple dans sa structure et poétique dans ses envolées. Cette fois-ci, pour les nouvelles composant Plasmas, c’est la science-fiction qui a tenté cette plume rigoureuse et pourtant joueuse. Le verbe « composer » n’est pas vain, car ces dix nouvelles, dans leur disparité thématique apparente, dialoguent, se répondent, incitent le lecteur à voyager de l’une à l’autre pour vérifier un écho, une impression fugace – l’écho le plus évident étant entre Boules à neige et La Kuïn, puisque les deux évoquent une « boule de verre liquide » permettant de visualiser la planète, à ceci près que dans la première nouvelle, elle sert à un souvenir lointain à des désormais nomades interstellaires, tandis que dans la seconde, elle sert à une Greta Thunberg pré-apocalyptique (c’est-à-dire : juste avant) à une démonstration de l’état du monde que seuls les moins de douze ans semblent comprendre tripalement. Un autre écho, subtil, est relatif aux papillons, à leur importance comme signaux, que ce soit dans Casino Baldo, Uiush ou, à nouveau, La Kuïn.
Mais est-ce bien de la science-fiction ? Oui, au sens où Bradbury entre autres la pratiquait dans ses propres nouvelles : une forme de réflexion un rien métaphysique sur le statut et la place de l’être humain, réflexion qui n’offrait aucune conclusion, des nouvelles qui, c’est aussi le cas pour celles de Minard, rencontraient leur point final au moment où la narration aurait pu devenir romanesque (on pense en particulier à Tar Pits, Grands chiens et Grands singes), laissant ouvertes pour le lecteur les portes de l’imaginaire. Les thèmes abordés par Minard le sont parfois de façon purement elliptique, comme pour laisser la place à la poésie de l’écriture – c’est visible en particulier dans la nouvelle En l’air, où des trapézistes font l’objet d’une observation acérée par une forme post-humaine tout en conservant leur grâce voltigeante.
Cette poésie de l’écriture et de la vision qu’elle sert, autant la montrer plutôt que tenter de la décrire, par un extrait de Boules à neige : « Dans la boule martienne qu’Erenborg tenait comme un trésor, des petits tourbillons de poussière se pourchassaient les uns les autres sur le fond de ce qui avait été l’océan de Mars. Ils traversaient ce territoire, l’Arcadie, l’Utopie, l’Élysée des Exilés, selon des trajectoires erratiques dont la direction s’inversait brusquement aux abords de l’ancien rivage. Quand ils franchissaient le bourrelet de roche, ils se délitaient en quelques secondes. Les autres grossissaient en raclant le fond du plateau poudreux, s’avalaient pour se diviser plus loin et retomber inertes en petits tas pointus qu’un vent rasant dispersait en surface comme pour les remettre en jeu. La course-poursuite des dust devils ne s’arrêtait jamais ». Vision et expression claire et élégante de la vision, tout y est.
Ailleurs, le lecteur devine au fil des pages qui raconte ou de quel point de vue est racontée l’histoire, qu’il s’agisse d’un paresseux aï aux souvenirs remontant à la dernière ère glaciaire (Uiush), ou d’un être appartenant à une post-humanité retournée vivre dans la mer (Grands fonds, non dénuée d’humour : « Les tenants de la vie moyenne n’emportent pas non plus son adhésion. Ils répètent tant de choses douteuses sur ce qui aurait lieu entre le mésopélagique et l’épipélagique qu’il faudrait être innocent pour ne pas y discerner le début d’une idéologie »), et c’est une autre forme de poésie que cette obligation de deviner, de se laisser gagner par le texte comme la narratrice de Grands singes se laisse gagner par les hominidés qu’elle approche dans un monde post-apocalyptique, se sentir « sachant tout à coup comment saisir les fils, tendre les bras, gainer le corps, porter la tête, la nuque dans l’alignement du dos, les mains jointes et devant, comment plonger ».
L’image peut sembler forte, mais avec Céline Minard, il s’agit bien de « plonger », d’accepter d’être immergé dans des récits percutants, aux images puissantes, à la langue riche. Dix sont proposés dans Plasmas, dont on ressort comme transfiguré.
Didier Smal
Lire la critique de Léon-Marc Levy sur le même ouvrage : http://www.lacauselitteraire.fr/plasmas-celine-minard-par-leon-marc-levy
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