Place Colette, Nathalie Rheims
Place Colette, Août 2015, 311 p. 20 €
Ecrivain(s): Nathalie Rheims Edition: Léo Scheer
La narratrice de Place Colette est une très jeune fille, d’extraction bourgeoise, qui s’ennuie ferme dans son foyer familial, d’où ses parents, volages et conformistes tout à la fois, sont souvent absents … Les vacances passées en Corse chaque année la contraignent à subir le rituel familial : les anecdotes cent fois répétées, la malveillance de la voisine de la résidence, la présence de personnages issus du milieu littéraire, parmi lesquels Michel Mohrt, Paul Morand, Félicien Marceau. Le père de la narratrice est en effet candidat à l’Académie française et exerce pour préparer au mieux sa candidature un peu de lobbying …
Pourtant, ce qui va sauver cette très jeune fille, qui a longtemps été immobilisée et hospitalisée par suite d’une erreur de diagnostic, c’est la littérature, la connaissance des classiques dont elle a tout loisir de s’imprégner durant ses loisirs forcés. A l’issue de trois années, un professeur découvre sa véritable maladie. Il l’opère, elle guérit. De nouveau en pleine possession de ses moyens physiques, la narratrice n’a de cesse de revoir à Paris un homme nommé Pierre, beaucoup plus âgé qu’elle. Il est Sociétaire de cette vénérable institution et joue régulièrement salle Richelieu, Place Colette, siège de la Comédie-Française.
Elle l’a aperçu dans un théâtre d’Ajaccio, au cours de ses vacances en Corse. Avec l’aide de sa camarade, Isabelle, elle fait le mur, va le voir à la Comédie-Française en cachette de ses parents, tombe amoureuse de cet homme. Elle tente de le contacter timidement, de lui parler, de se présenter, mais les premiers contacts se limitent à des fellations intimes suivies par un renvoi amical : « Rentre chez toi, petite fille. »
Pourtant, la poursuite de cet idéal amoureux n’est pas chimérique, elle n’est pas non plus scabreuse car la narratrice (la romancière ?) a le mérite immense de bien mettre en évidence le parallélisme des deux désirs : celui éprouvé pour cet homme, et celui de l’amour du théâtre, qui se révèle chez elle une véritable passion .Elle constate ainsi une symétrie entre la situation de Phèdre et la sienne : « Plus j'écoutais le texte, plus nos situations se croisaient, s’inversaient, devenaient symétriques. Phèdre se sentait coupable d’avoir été foudroyée d’amour par le jeune fils de son mari. Pierre était aussi un fruit défendu. Ma passion était la plus forte ; pour lui, j’aurais tout envoyé promener sans réfléchir une seconde. »
Dans la logique de cette emprise de la passion pour le théâtre, la narratrice prend des cours, d’abord chez Abricot, surnom charmant donné à sa professeure de théâtre qui l'initie aux techniques de respiration, à interpréter avec la justesse de ton dans la déclamation .Puis elle entre dans le cours d'un autre professeur, un certain Jean Perimony, sorte de Jouvet à son échelle, exigeant, brutal, mais sachant reconnaître le talent .La narratrice est reçue ultérieurement par Jorge Lavelli, Jean Le Poulain avec propositions à l’appui qu’elle accepte .Sa carrière est lancée, elle est reconnue par ses parents, enfin attentifs à ses performances, et par Pierre …
Place Colette est un beau roman d’initiation, non pas à une aventure sexuelle graveleuse mais à l’illustration des possibilités de réalisation simultanée d’espérances de natures diverses, ce qui est tout différent. Il séduira en cela les lecteurs.
Stéphane Bret
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