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Pierres de rêve avec paysage opposé, Michèle Métail (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 19.08.19 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Pierres de rêve avec paysage opposé, Michèle Métail, éditions Lanskine, avril 2019, 56 pages, 14 €

Pierres de rêve avec paysage opposé, Michèle Métail (par Didier Ayres)

 

Réfléchir, reflets

Il m’arrive peu de différer longuement entre la lecture d’un livre auquel je me suis promis d’écrire une recension, et l’écriture à proprement dite de cette note de lecture. Ici, ce sont plus de quinze jours sur lesquels repose mon dernier regard sur ces Pierres de rêve, non pas à cause d’une sorte de paresse ou de désintérêt éprouvé pour le livre, mais à cause d’une maladie chronique qui m’a éloigné de presque tout en matière d’écrire. Je dis cela pour expliquer quand même la force qui m’a poussé à chroniquer ce livre de Michèle Métail, sorte de volonté qu’autorise cet ouvrage, facile d’accès, mais complexe dans son architecture. Je me suis donc attaché dans ces deux moments – lire et écrire – à regarder de près la fabrication du recueil, qui à droite comprend le texte, et sa version pour miroir à gauche – ce qui n’est pas une anecdote. Lecture en miroir, et lecture disons, droite, s’entraident pour donner à penser le voyage de l’autrice à Taiwan où elle a regardé de près les miroirs convexes qui articulent les paysages et les routes, comme en une sorte de miroir de Lorrain.

Ainsi, nous sommes dans un monde prosaïquement narcissique, où le texte se mire en lui-même. Et même si cette poésie est inspirée des photographies des miroirs de Taiwan – qui scandent d’ailleurs de 12 images les 12 parties de l’opus –, il reste que cette opération intellectuelle se conçoit en elle-même comme se repliant sur son image inversée, intellection du miroir qui donne à voir une énigme, qui, à droite du livre, en délivre le mystère et augmente le langage. Je vais clore ici ce préambule pour revenir physiquement à l’étreinte de ce petit ouvrage qui est en soi une aventure littéraire.

Un pont suspendu rattache l’île à la ville. Un trait rouge lumineux souligne son garde-corps en crête de vagues. Trois hommes ont investi les bandes parallèles du marquage au sol. Dans un fût métallique, ils brûlent des paquets de papier monnaie de la Banque des Geôles Souterraines. Offrandes dédiées aux ancêtres. Les flammes s’élèvent de plus en plus haut, à croire qu’elles lèchent les façades des tours d’habitation dressées sur l’autre berge. La superposition des plans offre un joli coup d’œil sur l’apocalypse.

Ce livre découpé en 12 morceaux d’une écriture descriptive, penchée sur 12 miroirs photographiés, et 12 copies du texte, inversé sur la gauche, ne reste pas seulement une opération graphique, mais s’avère une quête de la totalité, une sorte de cubisme analytique – lequel pourrait contenir un monde complet et ses angles, ses contours variés, la réalité augmentée de son propre ensemble. Et cela pourrait se confronter, dans l’esprit de l’auteure, avec l’iconographie immobile dans le temps et dans la forme des mille ans de la peinture chinoise de montagne, car le chemin qui même au poème reste identique et se réitère. Et puisque je parle de ce qui fait réfléchir, il faut aussi évoquer ici l’intervention de la vieille méthode du miroir de Lorrain, qui, en peinture, serait l’équivalent du fameux « miroir sur la route » de Stendhal. Cette découpe de la réalité, d’ailleurs plus en cercle que cubique, reste une forme découpée à l’intérieur d’un reflet, réflexion, cette fois-ci comprise comme action de refléter.

Ce journal de voyage est une écriture réfléchissante, miroitante, une relation avec le monde du rêve, avec des images mentales mélangées à des souvenirs du voyage lui-même ou peut-être des images revenues d’elles-mêmes au monde visible. D’ailleurs, ces photographies informent l’écriture elle-même puisque ces images rondes, ces anamorphoses tendent à refléter une sorte de pays poétique, pays idéal que cherche tout poète.

Accolé à un hangar, l’auvent est rempli de matériel de cuisine : faitout, moulin à café, pilon dans un mortier en bois, réfrigérateur petit modèle et congélateur armoire, des grilles, des étagères, des corbeilles en plastique posées sur des meubles protégés par une bâche, un pied de parasol. Aucune intention ne transparaît dans cet agencement, sauf la logique des poids et volumes : les petits sur les gros.

L’être humain en son paysage, l’être humain en sa doublure langagière, rend factuelle sa présence pour mieux la vivre dans la langue, ce qui fait que le texte que l’on peut lire seulement dans un miroir appartient de fait à deux mondes : le lisible et l’invisible. Le monde devient ainsi physiquement le reflet de lui-même, pris dans le cercle du speculum, d’une part puissante de l’image en sa triple structure : le monde, le reflet du monde et sa réflexion intellectuelle et poétique.

 

Didier Ayres

 


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.