Pierre Reverdy, Écrire, pour survivre, Roger Aïm / Julien Gracq, Prix Goncourt 1951, Histoire d’un refus (Essai), Roger Aïm (par Philippe Chauché)
Pierre Reverdy, Écrire, pour survivre, Roger Aïm, Éditions La Simarre, juin 2022, 132 pages, 15 €
Julien Gracq, Prix Goncourt 1951, Histoire d’un refus (Essai), Roger Aïm, Éditions La Simarre, août 2020, 75 pages, 13 €
« Écrire m’a sauvé – j’ai sauvé mon âme. Je ne peux pas imaginer ce qu’eût été ma vie si je n’avais pas écrit. Mais je crois que je ne suis ni un poète, ni un écrivain, ni un artiste. Mais un homme qui n’a pas trouvé d’autre moyen de garder le contact avec la vie, de surnager. J’ai écrit comme on s’accroche à une bouée » (Lettre de Pierre Reverdy à Jean Rousselot, 16 mai 1951).
« Dadaïste avant le mouvement Dada, surréaliste avant Breton, il s’inscrit dans la discipline constructive (Apollinaire) du cubisme. Même si plus tard il préserve ses relations avec les artistes surréalistes comme il l’avait fait avec les cubistes, sa trajectoire poétique originale sera autre, dans la solitude (Roger Aïm).
Roger Aïm n’a pas la prétention de tout écrire, de tout dire sur Pierre Reverdy, d’offrir une biographie très savante, aux centaines de pages et aux milliers de notes, qui trônerait en bonne place au rayon poésie des librairies et de la bibliothèque d’un collectionneur lettré, l’écrivain préfère la mesure, la juste mesure, et le style vif, bref, net, et brillant. Quelques pages suffisent, 132 exactement, pour mieux voir Reverdy. L’écrivain bibliographe ajuste notre regard, pour mieux entendre, mieux saisir la vie du poète en son siècle de guerres et de révolutions cubistes et surréalistes. Pierre Reverdy découvre pour la première fois de sa vie la lumière du sud à Narbonne, le 11 septembre 1889, né « de père et de mère inconnus » déclarera à l’état civil Justine Gréchingues, la sage-femme, chargée par sa mère de déclarer la naissance de l’enfant. Un vide plus tard comblé, mais que le poète n’oubliera jamais. Pierre Reverdy découvre la lumière grise de Paris, le 3 octobre 1910, il passe d’un hôtel à l’autre, et le second est baptisé au Bateau-Lavoir, c’est ainsi qu’il fera un premier pas dans le cœur d’un Paris vibrant et vivant illuminé par Juan Gris, Picasso, Maurice Raynal, mais aussi Utrillo, Dufy, Braque et Max Jacob. Les bonnes fées de la modernité artistique n’ont pas perdu de temps. Picasso dira de Reverdy que « C’est un peintre né qui a su se frayer un chemin dans la poésie », et Braque d’ajouter : « Qu’il nous faisait découvrir nos propres secrets ». Autre grâce d’un hasard heureux, sa rencontre avec Henriette, ils s’épouseront et ils finiront tous les deux leur vie à Solesmes. Entre temps, le temps d’une vie, il y aura des poèmes, d’autres rencontres, la revue Nord-Sud, la mort d’Apollinaire « … quand un grand poète disparaît, c’est, pendant longtemps, la nuit noire qui règne à la place du jour éclatant qui brillait », une passion avec Chanel, la guerre, sa conversion catholique : « Entraîné par une musique d’ombre, l’incrédule, l’anarchiste Reverdy découvre la foi », et son retrait à Solesmes.
« En retrouvant ce lieu de refuge et d’oubli, il respire enfin l’air libre de son enfance édénique. On l’entendrait presque s’écrier de nouveau : « la nature, c’est moi ! » (Roger Aïm).
Roger Aïm traverse avec la finesse et la légèreté des dessins de Matisse, le siècle de Reverdy, qui est aussi celui de Braque, du cubisme et du surréalisme, même si le poète ne fera partie d’aucun mouvement, d’aucune école, sauf peut-être celle de l’écriture solitaire, et du silence habité, qui inspira ses amis peintres, dont les dessins, les eaux-fortes, et les aquatintes accompagnent ses publications, immenses preuves d’amitié signées notamment : Picasso, Braque, Matisse, et Juan Gris. Ces temps, que l’on croyait oubliés, étaient aussi ceux des offrandes, ce qu’immortalise Roger Aïm.
« Oui, “rien de commun” cet auteur qui refuse le Goncourt, “rien de commun” cet étrange roman allégorique, “rien de commun” cet éditeur rigoureux, “rien de commun” le choix du jury Goncourt et quelle étrange ironie du sort que Le Rivage des Syrtes ait offert sont pseudonyme à Éric Orsenna qui sera, trente-sept ans plus tard, Prix Goncourt ! ». Roger Aïm, l’éditeur José Corti avait choisi comme devise « Rien de commun ».
« En littérature, je n’ai plus de confrères. Dans l’espace d’un demi-siècle, les us et coutumes neufs de la corporation m’ont laissé en arrière un à un au fil des années… Je prends rang, professionnellement, parmi les survivances folkloriques appréciées qu’on signale aux étrangers, auprès du pain Poilâne, et des jambons fumés chez l’habitant », Julien Gracq, Le Monde des Livres du 5 février 2000.
Deux ans, avant Reverdy, Roger Aïm publie ce portrait instantané de Julien Gracq, l’écrivain du refus du Goncourt, le 3 décembre 1951. Ce n’est pas un refus pour l’effet d’annonce, le « buzz » pourrions-nous lire aujourd’hui, ni pour se démarquer des autres écrivains, ses goûts ne sont jamais grossiers, ou pour quelques ressentiments ou colères publiques, mais simplement pour mettre en application ce qu’il avait écrit des prix littéraires, ce qui est écrit est tout simplement accompli. Le professeur Louis Poirier continuera d’enseigner jusqu’à sa retraite en 1970, l’écrivain Julien Gracq de publier, essais, pamphlet – La Littérature à l’estomac reste d’une actualité brûlante, une vision d’une glaciale férocité du milieu des lettres –, critiques, récits et nouvelles et fera de son vivant son entrée dans la bibliothèque de la Pléiade en 1989. Tout le reste n’est que silence, là où d’autres écrivains en font leur miel plus ou moins amer ! Fidélité de Julien Gracq à quelques principes : seule compte la littérature, seul compte le livre. Tout le reste, n’est justement pas littérature. Le livre, partagé par quelques lecteurs qui font partie de cette société secrète, que Roger Aïm saisit avec la finesse qu’on lui connaît, le trait vif qui est le sien, la synthèse, et cet art du bref, qu’il manie avec une rare maîtrise. Julien Gracq sera un écrivain invisible, à la manière de Cioran, dont seuls les livres existent, et leur prestige ne tient à aucun prix, à aucune récompense, mais au seul cheminement qu’ils accomplissent dans les mains, et le cœur des lecteurs.
Philippe Chauché
Flammarion a publié les œuvres complètes de Pierre Reverdy, deux tomes (Collection Mille et une pages) et Gallimard a publié Main d’œuvre, 1913-1949).
Julien Gracq est publié en deux volumes dans la Pléiade, 1989/1995.
Roger Aïm a publié également une biographie de Kant : Une vie à Königsberg (Editions La Simarre/Christian Pirot), deux romans : Un jour entre les autres (Portaparole), et En dehors des jours (Domens), de la poésie et des ouvrages universitaires.
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