Pierre Lapin, Beatrix Potter (par Yasmina Mahdi)
Pierre Lapin, Beatrix Potter, mars 2022, 25 pages, 10,90 €
Edition: Gallimard JeunesseUn lapin rebelle
Pierre Lapin (Peter Rabbit, 1902), un grand classique inaugurant un cycle de récits de la littérature jeunesse, est réédité par Gallimard Jeunesse dans ce superbe album anniversaire, pour ses 120 ans d’existence, au format 285x232 mm, doté de 32 pages et de gardes in-texte. Beatrix Potter (1866-1943), l’écrivaine britannique, était également naturaliste et dessinatrice. Elle a subi néanmoins l’ostracisme de la communauté scientifique de l’époque qui interdisait aux femmes de se présenter aux colloques. Elle a légué plus de 450 dessins naturalistes à l’Armitt Museum Gallery d’Ambleside.
Les lapineaux représentés par Beatrix Potter portent des prénoms délicieusement charmants : Flopsaut, Trotsaut, Queue-de-Coton, Pierre, et vivent en compagnie de leur mère à l’orée d’un grand bois. Mère lapin met en garde ses quatre lapereaux contre les risques de s’aventurer trop loin hors du terrier et de ses alentours. Une imprudence qui a coûté la vie à leur père lapin, mangé par l’horrible Monsieur MacGregor ! Les sœurs de Pierre sont vêtues de pélerines à boutons de cuivre ou dorés, portant chacune, comme Le Petit Chaperon rouge, des paniers d’osier. Pierre, lui, porte une veste courte à boutons dorés. Or, ce garçon s’avère être un petit lapin désobéissant et rebelle ! Les légumes du potager du vieux jardinier grincheux sont délicieux et Pierre outrepasse les recommandations de sa mère…
Beatrix Potter a ainsi subverti la représentation alors commune du bon petit garçon, modèle typiquement admis du héros courageux et plein de ressource. Le parti pris de Beatrix Potter remonte sans doute aux Contes de ma mère l’Oye, de tradition orale et populaire, contes irrévérencieux et contenant, comme les définit Bruno Bettelheim, des éléments qui forment les hantises, la difficulté des rapports familiaux et les peurs refoulées du psychisme de l’enfant. Dans la culture populaire et enfantine, le lapin domestique est très présent, à commencer par celui des Aventures d’Alice au pays des merveilles (1865). Dans les pays anglo-saxons, le lapin de Pâques apporte les œufs de Pâques aux enfants. Des lapins en peluche ou en chocolat sont offerts à cette occasion.
Les animaux sont rendus, par la grande dessinatrice, dans une veine naturaliste et une précision graphique époustouflante. Mère lapin et sa progéniture sont certes anthropomorphisées, parlent le langage humain, mais revêtent l’aspect de leur espèce. Similaire à la mère de famille de l’époque, Mère lapine se rend au marché, à la boulangerie, cuisine, habille, soigne sa progéniture et prépare des potions médicamenteuses. Les coloris de la nature, le pelage des herbivores, le plumage des oiseaux des champs, les plants de légumes, les ustensiles de l’époque, leurs proportions, sont fidèlement reproduits par Beatrix Potter. Pas de niaiserie dans le texte, B. Potter étant très vigilante quant à la richesse du vocabulaire pour les tout- petits. Exigeant le mot juste, elle était convaincue que les enfants sont sensibles aux mots qu’ils apprennent. Elle s’est donc toujours refusée à remplacer un terme, si difficile soit-il, par un autre, plus simple mais moins précis.
Ainsi, la morale de Pierre Lapin mentionne la cruauté à l’égard des plus faibles, la brutalité, l’égoïsme, et les dangers à s’affranchir des interdits. Cette très belle œuvre jeunesse est appréhendable dès 3 ans. Titre recommandé par l’Éducation nationale.
Yasmina Mahdi
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