Petite sœur la mort, William Gay (par Léon-Marc Levy)
Petite sœur la mort (Little Sister Death), trad. américain Jean-Paul Gratias, mars 2017, 270 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): William Gay Edition: SeuilEt l’arbre couleur de feuilles de mille couleurs différentes
Parla, et toutes les feuilles voltigèrent en l’air
Et tournoyèrent autour du tronc ; et l’arbre était un
Vieillard à la barbe blanche resplendissante comme
Une cuirasse d’argent, et les feuilles étaient des oiseaux.
« Que dis-tu, bon saint François ?
Petite Sœur la Mort » dit le bon saint François
William Faulkner, Mayday
(Extrait de l’épigraphe du roman)
Le titre français, et le titre original (Little Sister Death), sont donc une référence à un texte peu connu de Faulkner.
William Gay avait une vénération pour cet auteur et cette citation provient d’une œuvre, une nouvelle de 1926, que Faulkner situait dans un cycle chevaleresque de la Table Ronde. Il s’agit donc d’un texte merveilleux, au sens de magique. Et c’est dans ce territoire littéraire que se situe le roman de William Gay, bien plus proche du merveilleux que du fantastique horrifique.
Les maisons hantées constituent un solide socle d’une longue tradition de la littérature fantastique. Depuis, au moins, la célèbre maison Usher d’Edgar Poe, jusqu’à celle qui va nous occuper ici, en passant par La Maison des Damnés de Richard Matheson ou par la maison hantée de Shirley Jackson, récemment republié chez Rivages, et d’ailleurs cité par William Gay (p.49). Ce sont des dizaines, voire des centaines de romans, de films, de séries qui reprennent ce thème majeur de la peur.
Dans cette lignée, émaillée de chefs-d’œuvre noirs, William Gay prend une haute place avec ce roman. David Binder, jeune écrivain en mal d’inspiration, est incité par son éditeur à écrire un roman d’horreur pour trouver un large public. Ses références en la matière le mènent d’emblée vers l’idée de la maison hantée et il va s’installer, avec femme et enfant, dans une maison d’anciens planteurs, dans le Tennessee, qui charrie des contes et légendes depuis des siècles.
D’emblée, comme dans la plus haute tradition gothique, la maison apparaît comme un personnage sinistre et hostile, qui regarde les nouveaux habitants arriver.
« Composée pour une partie en rondins, une autre en colombage, une dernière en pierre, elle semblait s’être développée sous tous les angles possibles comme un organisme devenu hostile et pervers avant de finir par mourir, car Binder voyait la mort dans ses yeux, les feuilles d’automne de l’année précédente entassées par le vent sur la galerie en façade, deux des fenêtres de l’étage brisées par des jets de pierre ou des décharges de chevrotines tirées par des chasseurs. C’était une impression presque indéfinissable de décomposition qui pesait sur cette maison – profondément abandonnée, non désirée, désertée ».
William Gay construit son roman en trois époques, 1933, 1785, 1985. Trois époques de l’histoire terrible de la maison Beale. Le retour au « présent » (1985, l’histoire de Binder et de sa famille) se fait entre les deux narrations des deux époques passées. Toute la tension du roman repose sur cette construction en « mille-feuilles » car les terribles destins des personnages du passé nous font craindre le pire pour ceux du présent. De fait, chaque histoire du passé relève d’un style de récit fantastique différent, comme si Gay écrivait trois nouvelles conjointes mais distinctes. 1933 est assurément la narration la plus horrifique, proche des contes sanglants d’Edgar Poe, évoquant aussi des romans beaucoup plus récents comme le Shining de Stephen King (ou le film de Stanley Kubrick). Jugez-en :
« Me voici, me voici, mes petites, fit-il à voix basse dans la pénombre. Furtivement, il entra dans la première chambre qu’il atteignit. La porte grinça un peu sur ses gonds. Une lueur jaune pâle s’en échappa quand il l’ouvrit en grand. Il y en avait deux, ici, qui se réveillèrent en entendant ses pas. Il leva la hache. Le première fut debout d’un bond, s’enfuit en le contournant, tandis que l’autre restait figée, stupéfaite, la bouche ouverte. Sa dernière vision fut celle de son père, nu, se ruant sur elle en brandissant la hache dont la lame, éclairée par l’ampoule de la veilleuse, décrivit un arc lumineux. »
1785 se rapproche plus des contes de fantômes et d’au-delà. Nous ne dirons rien du présent, il faut laisser au lecteur le soin de le découvrir.
Dans une traduction sobre et élégante de l’excellent Jean-Paul Gratias, qui fait un écho respectueux au style dépouillé de William Gay, nous avons un roman fantastique – dans la polysémie du mot.
Les éditions du Seuil inaugurent avec cet ouvrage une nouvelle collection intitulée « Cadre Noir », dès à présent pleine de promesses de belles œuvres.
Léon-Marc Levy
VL3
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