Petite Histoire de la Caricature de Presse en 40 Images, Dominique Moncond’huy
Petite Histoire de la Caricature de Presse en 40 Images, juin 2015, 192 pages, 6,40 €
Ecrivain(s): Dominique Moncond’huy Edition: Folio (Gallimard)
La collection FolioPlus, comme chacun le sait, est avant tout destinée à un public scolaire ; mais comme chacun le sait aussi, on peut apprendre à tout âge et nul n’a jamais perdu son temps à feuilleter voire lire un FolioPlus, d’autant que, pour celui-ci, l’actualité s’en mêle quelque peu, puisqu’il propose une Petite Histoire de la Caricature de Presse en 40 Images, conçue par Dominique Moncond’huy.
Le lien à l’actualité est évident : le 7 janvier 2015, le journal satirique Charlie Hebdo subissait un attentat, événement qui a suscité nombre de questions relatives à la liberté d’expression. Pour autant, Moncond’huy a l’intelligence de ne pas évoquer directement cet attentat, évitant ainsi à son anthologie de devenir une thèse à charge ou à décharge ; non, elle présente un phénomène éditorial, la « caricature de presse », et ne prend pas position, ainsi qu’elle l’annonce dans une brève introduction :
Aucune de ces images n’est agressive inutilement, par simple jeu. En leur temps, elles ont toutes eu pour visée de provoquer : elles disent un point de vue, généralement critique, et elles appellent le spectateur à réagir, à approuver ou à s’insurger, souvent à rire, même si c’est d’un rire gêné, d’un rire « jaune », d’un rire qui manifeste une surprise éventuellement désagréable.
Suivent donc quarante images, classées dans l’ordre chronologique, illustrant la caricature de presse entre 1791 et le 29 janvier 2015 (un dessin de Plantu évoquant les attentats parisiens, sur lesquels il était évidemment difficile de faire totalement l’impasse). Le dispositif est identique pour chacune d’entre elles : une reproduction, en noir et blanc, sur la page de gauche, et un texte contextualisant la caricature (situation politique, organe de presse, etc.), expliquant son fonctionnement par une analyse exacte (même si elle évoque parfois des couleurs…), montrant son impact potentiel ou éventuel : le lecteur peut ainsi comprendre les tenants et aboutissants de tel dessin, de telle gravure ou tel photo-montage. Par ailleurs, Moncond’huy ne s’est pas cantonné à la presse française, allant jeter un œil sur ce qui se faisait en Russie, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis ; de même, les affiches et autres tracts ont voix au chapitre. Bref, le panel choisi, pour restreint qu’il soit, est bien représentatif des époques, des endroits et des techniques.
Après les quarante caricatures, suivent des textes plus théoriques expliquant le pourquoi et le comment de la caricature de presse en tant que phénomène. Encore une fois, Moncond’huy se contente d’une approche pédagogique : ainsi, si il montre en quoi la satire est européenne, il ne va pas plus loin, et montrer sa confrontation à d’autres cultures. Mais cette approche peut limiter le propos : ainsi, après un détour instructif par la physiogonomie, Moncond’huy en vient à dire en quoi cette pseudo-science a pu influencer les caricaturistes, mais ne donne aucun exemple en image : la crainte de choquer peut-être l’a empêché de montrer une caricature antisémite (et il en montre pourtant en rapport avec l’affaire Dreyfus) ou une caricature franchement raciste (et il en montre pourtant en rapport avec la colonisation). Assez étrangement, et c’est le défaut principal de cette anthologie, un sujet à fort potentiel explosif a été traité avec des pincettes : si l’on observe attentivement le choix de caricatures effectué, on s’aperçoit qu’aucune ne générerait de « surprise éventuellement désagréable » aujourd’hui, comme si une auto-censure allant dans le sens du politiquement correct avait été écoutée… Ceci n’enlève rien aux qualités de l’anthologie, mais ça en montre les limites.
Ces limites sont aussi visibles, même si dans une moindre mesure, dans le « Groupement de textes » : les textes choisis (du Rabelais, du Boileau, du Céline, etc.) bénéficient d’une présentation très, voire trop succincte et leur visée satirique n’est pas toujours évidente ; puisque Moncond’huy avait très bien présenté la presse satirique dans les pages qui précèdent, il aurait peut-être dû effectuer un choix de textes appartenant plus clairement au genre, pourquoi pas des textes journalistiques, choix qui aurait mieux convenu à la visée pédagogique de l’ensemble. Celle-ci se retrouve par contre dans la conclusion du volume, une incitation à « circuler dans le livre » bienvenue pour le public scolaire.
En bref, mis à part une certaine timidité dans les choix de caricatures et un « Groupement de textes » un peu faible, cette anthologie remplit bien son office : éveiller, et c’est indispensable à tout âge, à l’histoire et à l’art de la caricature, cette tradition européenne dont la pérennité est celle de toute la tradition intellectuelle de ce continent.
Didier Smal
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