Père, François Mary (par André Sagne)
Père, François Mary, éditions Plein Chant, 2018, 74 pages, 10 €
Raconter la mort du père, la mort de la mère, par les ressources de la littérature, de ce qu’elle procure à la fois comme distance et comme concentration, beaucoup ont tenté de le faire, peu y sont parvenus. François Mary, dans son dernier ouvrage, Père, y réussit parfaitement. Il y a chez lui, à le lire, non seulement un goût profond pour l’écriture mais aussi une extrême attention aux êtres et aux choses qui l’entourent, une vraie sensibilité, une authentique humanité qui le rapproche par exemple d’un Gustave Roud, avec un sens du tragique, de l’irrémédiable, comme dans l’évocation – admirable à tout point de vue – de la mort du jeune chat.
Le livre réunit deux textes de nature différente. Le premier, en italique, a été écrit dans une sorte d’urgence, juste après la mort du père. Le second, intitulé Notations, est plus tardif et regroupe des « souvenirs morcelés » qui n’avaient pas trouvé leur place dans le premier. Ce n’est donc pas une redite mais plutôt un changement de focale, ce second texte s’élargissant aux figures des grands-parents et donnant ainsi aux parents, ainsi qu’au fils, une dimension familiale, une assise dans le temps.
Les deux textes diffèrent également par leur forme. Le premier se compose d’une succession de très courts chapitres, d’une page le plus souvent, dont le titre indique la teneur : « Leurs mains, Choses aimées, En réanimation, Ta mort en face, Mauvais fils, Le chemin ensemble, La douleur ». Ce sont autant de jalons sur la route de celui qui fait l’expérience de la perte, en l’occurrence de ses parents à trois ans d’intervalle. Le second texte, moins scandé, plus fluide, est constitué de brefs paragraphes se succédant les uns aux autres en continu, et que viennent émailler vers la fin plusieurs citations d’auteurs : Georges Haldas, Patrice Delbourg, Pierre Guyotat, Léon-Paul Fargue, Philippe Besson, Marina Tsvetaeva.
Si c’est bien ici la mort du père qui est l’objet principal du livre, c’est pourtant celle de la mère qui en fait l’ouverture. Passer par la mère morte pour renouer avec le père, c’est vouloir dire que les deux sont liés, que l’homme dans le père ne se révèle au fils qu’à la mort de la mère. Les trois ans durant lesquels il lui survivra seront l’occasion pour le père et le fils d’apprendre à se connaître. C’est là le vrai sujet du livre, que François Mary aborde avec délicatesse, par petites touches, subtilement. Tout réside ici dans les détails de l’observation, la finesse des sensations et des sentiments. Sans aucune lourdeur ni tricherie. Car la révélation joue dans les deux sens. Révélation de l’homme dans le père pour le fils, on l’a dit, et révélation du fils homosexuel pour le père. Il n’y a plus temps pour les faux-semblants. A la moindre occasion, le père répète au fils qu’« il faut tout nous dire ».
Elargie à d’autres souvenirs et aux ascendants paternel et maternel, la partie Notations englobe en quelque sorte le noyau premier de la relation père/fils pour mieux y retourner, d’une autre manière, tout aussi bouleversante. Ainsi ne se découvre qu’à la toute dernière ligne du livre ce qui symbolise peut-être l’intimité d’un père, ce qui en signe l’accès, en tout cas entre lui et son fils : son prénom.
André Sagne
François Mary est notamment l’auteur de deux récits et de plusieurs livres d’artiste, seul ou en collectif. Il a également rassemblé des dossiers sur plusieurs autres poètes pour la revue des éditions Plein Chant.
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