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Perdre les traces, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 14.02.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Perdre les traces, Jacques Ancet, éditions La Rumeur libre, novembre 2021, 163 pages, 17 €

Perdre les traces, Jacques Ancet (par Didier Ayres)

 

Poèmes de l’extinction

Il est émouvant de parcourir le dernier recueil de Jacques Ancet tant la vérité nue de la vie et de la mort se côtoient. On y trouve une forme de mélancolie presque amère, où le poète se place dans un mouvement du temps, celui sans frein de l’heure ultime, inclination qui entraîne le langage et se fait entraîner vers la nudité et presque le néant. Ce je-ne-sais-quoi et ce-presque-rien, ce détail sobre de notre condition sonne très juste, et cantonne au domaine des larmes.

C’est le sentiment de la mort qui guide les pas du lecteur vers cette musique, ces fugues, cet ostinato de la forme. Perdre, tel est le mot essentiel. Laisser des traces sans savoir si elles resteront traces, traces voulant dire l’inquiétude du devenir du poème. Cette quête justifie pleinement l’écriture de ce livre.

Poésie épurée, qui se concentre sur des signes pauvres, langage quintessencié, lumière véridique, approchante, de la fin. Là l’homme est confronté à la mort, et seules quelques traces justement en témoignent – car personne ne sait rien de la traversée des apparences et de la nuit du sommeil dernier. Cette confrontation est rendue possible par une distance, un éloignement du locuteur de sa locution. Ancet utilise presque partout la troisième personne du singulier.

C’est le péril des choses qui compte dans cet ouvrage. Celui qui menace presque naturellement la vision du destin humain. Cela permet une langue pauvre, des manifestations simples et faibles, sans aucune emphase.

Il continue à parler mais il sait de moins en moins. Ce qu’il voit, ce qu’il écoute, qui vient, l’éblouit, l’aveugle, couvre le bruit de sa voix : un appel, un cri, un feu crépitant, mais d’où venu ?

Le poème s’asphyxie, vise l’aphasie, s’éprouve comme dépouillement, cherche et se conçoit comme une danse de mort. Raréfaction, alexie, souffle écourté de la phrase, autant de qualificatifs propices à désigner le point ultime, l’ultime minute. Langue noire de l’attente universelle, prosodie de la disparition, nature fragile de l’être, étantité devenue nôtre par cette lecture, cette élégie se restreint à tel point qu’elle devient rare, pure, glaciale en un sens.

Celui qui parle peut-être voit parce qu’il est dehors. Dedans, il ne verrait rien. Il ne voit rien, non. Pourtant il creuse encore. Le souffle est toujours plus court. Les mots, où sont-ils ? Il n’y a rien.

Mais le livre n’est pas vierge d’espoir. Ses accents finissent par gagner sur l’existence, sur le dasein du poète. Car cette espèce d’héroïde sans héros, ou plutôt écrite par un poète devenu simple héros involontaire, s’écrit depuis la vie, depuis le point lumineux du langage. La vie gagne si l’on peut dire. Et nous échoient les versets de L’Ecclésiaste en sa dissertation sur la vanité des choses humaines, là où rien n’est nouveau, où la finalité du temps devient le but du poète, dans sa nature profonde et désertique.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.