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Paysages après la bataille, Juan Goytisolo

Ecrit par Marc Ossorguine 04.02.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Espagne, Roman, Fayard

Paysages après la bataille (Paysajes después de la batalla) 1985, traduit de l’espagnol par Aline Schulman

Ecrivain(s): Juan Goytisolo Edition: Fayard

Paysages après la bataille, Juan Goytisolo

Le dernier prix Cervantès, le prix le plus prestigieux de la littérature hispanique, a été décerné en novembre dernier à Juan Goytisolo, couronnant l’œuvre d’un octogénaire (il a eu 84 ans le 6 janvier dernier) qui compte pas moins d’une vingtaine de romans et d’une douzaine d’essais.

Un écrivain espagnol très français puisqu’il a vécu de nombreuses années à Paris et a fait du quartier du Sentier un lieu hautement littéraire, y implantant et y développant plusieurs de ses fictions et récits.

Paysages après la bataille nous propose un récit éclaté, morcelé en une multitude de récits brefs, qui se suivent parfois, se font écho à distance, dressant petit à petit le portrait d’un individu pas tout à fait recommandable selon les normes du politiquement et socialement correct. Celui-ci a en effet quelques penchants que d’aucuns pourraient trouver suspects, au même titre que l’était le révérend Charles Lutwidge Dodgson, plus connu comme Lewis Carroll, séduit par Alice et ses exquis modèles du monde réel. Un exilé qui aime le mélange des cultures, des mots, des couleurs et des odeurs. Un être de fragments, rassemblant page après page les éclats d’une identité dispersés dans le temps et l’espace, tissant au fil des phrases le récit, les récits d’une vie plurielle, démultipliée dans les ruelles du quartier du Sentier qui sont autant de reflets d’autres villes, perdues mais jamais oubliées.

« Vous ne le verrez sûrement pas dans ces cafés du Quartier latin, de Montparnasse ou de Saint-Germain-des-Prés remplis d’exilés latino-américains et d’autochtones diplômés des Beaux-Arts ou de l’Ecole des Hautes Etudes, ni arriver en calèche par une de ces belles avenues qui convergent vers l’Etoile, en compagnie de Reynaldo Hahn ou d’un autre familier des Verdurins. Pour le Paris des Bourbons et des Bonapartes, planifié, neutralisé par ses architectes afin de parer à d’éventuelles explosions sociales, il n’a que du dédain. Les grandioses perspectives en carton-pâte, les édifices comminatoires et austères ne l’impressionnent pas. Ce qui l’attire – et correspond à ses goûts tristement vulgaires – c’est le Paris allogène, postcolonial et décrié de Belleville et de Barbès, un Paris qui n’est ni cosmopolite ni cultivé, mais au contraire métèque et illettré ».

Les chemins sur lesquels nous emmène l’auteur sont instables, fuyants et diffus, peuplés des ombres littéraires d’un Paris où vibrent encore les souvenirs de Proust, des impressionnistes ou des symbolistes, une ville de lumières et d’ombres où sévira l’ambigu magicien Haussmann, mais aussi bien vivant, multicolore et confus, bruyant et brillant du dedans aux soleils de l’Orient et du grand sud. L’on s’y perd et s’y retrouve comme dans les allées d’un rêve dont on essaye de se souvenir au réveil. On ne sait plus trop qui parle, du personnage, du narrateur, de l’auteur lui-même, voire de nous-même lecteur, dont la mémoire et les souvenirs sont aussi conviés, en résonance, dans cette étrange aventure littéraire où nous nous trouvons plongés.

« La relecture des cent pages de son manuscrit lui révèle l’existence d’un être fragmenté : idées, sentiments, libido tirent chacun de leur côté, le malheureux chroniqueur n’a pas été capable de les amalgamer. Feuilleter son récit dans la hâte du temps qui passe est un exercice lancinant d’irréalité : en terminant, il ne sait plus si c’est l’individu abstrait qui usurpe son nom ou si ce goytisolo est bien en train de le créer ».

Autobiographie rêvée, imaginaire et fantasque, ou rêverie littéraire, « fantaisie » romantique, surréaliste et autobiographique, ces Paysages après la bataille portent l’inquiétude d’un monde finissant, peut-être en bout de course, mais aussi l’espoir de l’humain qui survit malgré tout, avec toutes ses diversités, ses contrastes, ses paradoxes et ses énigmes, fuyant les clichés trop convenus, qu’ils soient ceux du touriste, du sociologue, ou de l’opinion silencieuse.

Un étrange voyage littéraire, entre écriture et lecture, qui n’est au fond que

leçon de choses, d’espaces et d’histoire

fable sans intention morale

simple géographie de l’exil

 

Marc Ossorguine

 


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A propos de l'écrivain

Juan Goytisolo

 

Juan Goytisolo Gay, né à Barcelone le 6 janvier 1931, est un écrivain espagnol de langue espagnole appartenant à la Génération de 50.

Juan Goytisolo est un des écrivains les plus importants de la seconde moitié du xxe siècle. Attaché par des liens, sentimentaux, intellectuels, très fort à l'Espagne où il est né, il a pourtant vécu en exil et développé un regard critique vis-à-vis de son pays d'origine — ce regard critique l'aura aidé à construire une œuvre d'une grande originalité idéologique et stylistique et à adopter une position politique originale devant le nouvel ordre mondial de la fin du xxe siècle.

Il a remporté de nombreux prix, dont le Prix national des Lettres espagnoles en 2008 et le Prix Cervantes en 2014.

 

A propos du rédacteur

Marc Ossorguine

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr