Patient X, Le dossier Ryūnosuke Akutagawa, David Peace (par Léon-Marc Levy)
Patient X, Le dossier Ryūnosuke Akutagawa, David Peace, Rivages, octobre 2024, trad. anglais, Jean-Paul Gratias, 366 pages, 24 €
Ecrivain(s): David Peace Edition: Rivages
David Peace n’a jamais rien fait comme tout le monde. Ses terrifiants « polars » étaient un véritable laboratoire littéraire dans lequel il dynamitait toutes les règles du genre, les contraignant à des pages sombres et souvent absconses, d’une poésie admirable. Ses célébrations du football étaient des exercices de style dont les échos – Li-ver-pool – Li-ver-pool – ne finiront jamais de résonner à nos oreilles.
Avec Patient X, Peace s’attache à présenter une sorte de biographie d’un écrivain japonais célèbre auquel il voue un véritable culte, Ryūnosuke Akutagawa. Une fois cela dit, il faut se précipiter à préciser que l’ouvrage ne ressemble à aucune biographie jamais éditée. L’intimité de Peace avec son modèle tisse une sorte de patchwork fait de passages romancés de la vie de l’auteur (vérité ? Fiction ? la magie romanesque prend en charge la question), d’articles de journaux d’époque, d’extraits de paroles de l’écrivain. La tresse entière est une résurrection de Ryūnosuke, une biographie partielle, partiale, totalement subjective.
Chaque fil de la tresse constitue – par le détour, le déplacement, la condensation – un trait important du portrait de l’écrivain japonais. Portrait d’autant plus précis, complexe, méticuleux qu’il saisit les nuances, les contradictions, les plis d’une personnalité hors du commun, étrange et fascinante.
L’écriture de Peace, dont on sait la mélopée obsédante, répétitive, ajoute à la naissance progressive d’un fantôme, celui de Ryūnosuke. Cela ressemble à un chant funèbre.
Il n’aimait plus ce lieu comme il avait aimé ce lieu, n’adorait plus ce lieu comme il avait adoré ce lieu. Il savait que c’était encore la maison de Dieu, qu’elle se trouvait encore sur la terre de Dieu ; il savait qu’on l’avait envoyé ici pour faire le travail de Dieu, qu’il était venu ici pour répandre la parole de Dieu. Pour apporter l’éducation, pour répandre l’instruction ; pour former les prêtres japonais à répandre la parole de Dieu. Ses messages d’amour, Ses messages de paix, Ses messages de miséricorde.
Une écriture incantatoire qui porte le mysticisme de Ryūnosuke, écrivain en quête permanente d’absolu, à la trajectoire intérieure qui semble marquée par un destin annoncé qui semble mener inéluctablement au Mystère du christianisme.
[…] Avez-vous été élevé dans une famille chrétienne, Sensei ?
– Non, répondit Akutagawa, pas même dans une maison particulièrement portée sur quelque religion que ce soit. Cependant, c’était et c’est encore une maison où régnait la superstition, et on m’a dit, même si, bien sûr, je n’en garde aucun souvenir, qu’à ma naissance on m’a abandonné sur les marches d’une église chrétienne.
En apparence déroutante, cette « biographie » ne prend tout son sens que dans sa globalité. A l’étrange dédale des sentes qui y mène, succède finalement une véritable intimité avec le sujet traité, une sorte de fraternité qui surgit des divers moments passés avec les bouillonnements intimes de Ryūnosuke. David Peace débarrasse l’ouvrage de ce qui encombre trop souvent les biographes, l’arc qui mène de la naissance à la mort en passant par les événements personnels, les œuvres, les succès, les échecs, les joies et les malheurs. La preuve en est que le lecteur trouve à la fin de l’ouvrage une quinzaine de pages consacrées à la biographie de Ryūnosuke, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas dans la biographie qu’il vient de lire. Tout cela n’intéresse pas Peace ; sa seule obsession est le chemin intérieur d’un homme, d’un artiste, d’un grand écrivain : l’âme de son œuvre en quête permanente de pureté, celle qui mène inéluctablement au Seppuku.
Léon-Marc Levy
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