Passe et impasse, par Jean-Paul Gavard-Perret
Rien ne fait que le réel s’épuise dans le mot, il n’est qu’une question ouvrant à l’ignorance. Néanmoins nous n’irons jamais plus loin qu’en entrant dans l’écriture même si le monde s’y est précipité bien avant.
Viendra le jour où pourtant nous aurons honte d’avoir perdu tout ce temps. Notre seule excuse sera celle de Beckett : « Bon qu’à ça ». L’insuffisance des mots aura donc suffi à notre existence jusqu’au silence semblable à notre langue. Ses mots auront inventé un isolement de plus. Mouvement emporté par un rêve tout en lui échappant. Enfermés et comme extérieurs à nous-mêmes. Que nous voulions mettre un ordre n’importe peu.
Le réel se déplace, inamovible, dans son accomplissement. La parole lui échappe, elle commande de toute son impuissance. C’est l’amplification du silence. Elle laisse les mots sans paroles à mesure que nous les connaissons. Avant même d’apparaître ils disparaissent. C’est le pas du pas où la marche abandonne.
Le mot toujours trop loin pour que nous le laissions tomber. Sa nostalgie forme la nostalgie insécable de la perte depuis le jour premier, la scène primitive. Nous ne sommes là que pour écrire ce qui nous sépare du monde. Il nous ignore – l’inverse voudrait être vrai aussi.
Présence qui n’habite pas le corps mais qui le tient en vie. Les mots ne répondent pas à l’audible, au visible. Ils sont la mise en demeure qui avale – entre flux et déplacement – l’innommable en croyant le cracher. Lieu de l’écriture où les autres lieux se défont. Atteindre et dépasser. En absence de profondeur de vue où nous venons buter. Comme si le corps et son désir, comme si le mot ne pouvaient suffire.
L’innannulable moindre nous fait tenir encore tant que le corps résiste. Dans le rêve que le monde n’existe que dans la pensée – intensité sans être. Et toujours si près de ce « sans » coupé de l’infini. Dormir en nos mains et notre ventre. Assis près de notre corps toujours plus proche à mesure que la fin approche et que sa disparition aura laissé pour compte son dernier effort. Ce que nous croyons être n’est qu’aller. Sans destination sinon celle de tout mortel. Mouvement perpétuel peuplé des approximations de chacun.
Le mot maintient son insomnie. Et son rêve. Sommes-nous vraiment contenus par les mots ? Pour seule réponse : nous y aurons posé notre « pas ». Unique mot qui nous restera. Et sa censure. Témoin d’un état qui nous aura échappé, nous aurons fait que tenter de croire lui répondre.
Jean-Paul Gavard-Perret
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