Passe aux cerfs dans la brume, Michel Bourçon (par Philippe Leuckx)
Passe aux cerfs dans la brume, Michel Bourçon, Christophe Chomant Editeur, septembre 2020, 138 pages, 19 €
La mélancolie au long cours
Michel Bourçon, que je suis depuis une petite douzaine de recueils, parmi lesquels Ce peu de soi (éd. La tête à l’envers) reste l’incontournable opus, tient un journal poétique en prose de plus de deux années. Il livre patiemment ses observations, ses états d’âme, ses réflexions, poète climatique, apte à saisir « le ciel dans les moindres » mouvements, poète atmosphérique du cœur et des yeux, prélevant au réel scruté et ressenti, des pépites, en dépit de « l’effondrement du jour », et du passage du temps, lui, privé « de s’envoler ».
Le maître de l’interstice, de l’entre, du vide d’espacement, Pessoa, a dû durablement inspirer à notre ami nivernais une bonne dose de désenchantement et le pousser à un indécidable mouvement d’esprit : on hésite à vivre, on ne sait comment, on ignore tant de choses, « on frémit », c’est tout, enfouissant journée après nuit, ce réel impratique devant lequel on est juste impuissant. Une phénoménologie des instants perçus ou désirés, des départs pressentis, assure à ces textes une vibration existentielle inouïe.
« Consolation » et « demeure inhabitable » sont des leitmotive d’un univers traversé par un étranger, ce poète en nous qui « ne sait pas », sent trop, désirant « habiter la lumière » qui se tire trop vite, trop mal. Ce poète est « l’errant » qui méjuge de sa position, qui se plaint d’être humain sensibilissime.
L’image du seuil – cet entre-deux instable entre intimité revendiquée et réel du dehors à risque – semble refléter au plus juste la posture du poète, éclaté, déchiré, qui n’a que « ses paumes » pour relater le monde.
La vie serait-elle si dure que les mots ne puissent vraiment qu’être la solution à vivre ?
Alors, la solitude a ce poids ou cette chance ou cette malchance.
Il reste de nous des gravats, des échecs, des grèves échouées, des poids, des bleus à l’âme.
Sensible au poids ou à l’absence de lumière, le poète sait trop bien que les mots – matière noble – sont toujours à affiner pour tenter d’approcher au mieux, en phénoménologue de l’indicible, les subtils changements du monde, entre inquiétude, mélancolie et acuité.
La prose, ici, semble coller à la tenue des registres du cœur mobile, mouvant, mutant ; elle cadre ainsi « l’idée de demeurer à l’étroit d’une peau, d’un corps, alors que la lumière inonde le monde ».
Voilà une poésie de l’incertain, au beau sens hardelletien (le temps est incertain), quand le moindre mouvement du réel impose sa diversité, son caractère changeant.
Un livre d’un grand poète, que je tiens tel comme Vandenschrick, Noullez, Grandmont, Rouzeau, Dugardin.
Philippe Leuckx
Michel Bourçon, nivernais, né en 1963, est l’auteur français d’une quarantaine de livres et livrets de poèmes. Citons : « Je ne sais pas la pluie ; Pour si peu ; Pratique de l’effacement ; Ce peu de soi.
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