Passage des embellies, Jean-Pierre Vidal (par Didier Ayres)
Passage des embellies, Jean-Pierre Vidal, éd. Arfuyen, septembre 2020, 137 pages, 13 €
Poésie de la réponse
J’appréhende toujours un peu en suivant, dans la découverte d’un livre de poésie, une idée capable de recouper différents effets littéraires, thèmes, pour en faire une synthèse dans laquelle ma lecture pourrait peut-être paraître partiale ou trop elliptique. Ici, avec Jean-Pierre Vidal, je me suis trouvé dans un univers à part entière. Ainsi, dégager une ossature susceptible de restituer la force de cette écriture demandait un soin particulier. Je pensais, au début de ce petit voyage fait avec ce livre, que l’on pourrait déceler en cette littérature rare – du reste, l’auteur publie peu et lentement – une réflexion sur le pouvoir de la poésie. Puis, j’ai glissé, en franchissant pas à pas et en avançant dans l’ouvrage, vers une idée plus pertinente. Car cet ouvrage ne se réduit pas à une proposition dialectique, où l’on devrait choisir une position, mais davantage y trouve-t-on réponse, une adresse à la fois au lecteur, au poète et à la poésie. Oui, réponse à l’amour, l’amour physique par exemple, au temps, à la mort. Ainsi donc, pas de volonté pédagogique, mais une vision du monde.
On ne regarde rien. Ce sont les objets du monde qui nous « regardent », de toute éternité, leurs grands yeux invisibles nous cherchent et nous obtiennent. Cela me regarde, m’oblige à regarder.
ou
Cette grande sérénité qui m’habite, est-ce la fameuse indifférence à atteindre ? Je comprends la vie comme un « énorme instant ». Je ne suis plus dans le retable ouvert rempli de belles couleurs, ni dans l’histoire sacrée où se déploie la fougue des bergers et où s’annoncent par des fleurs les grandes douleurs […].
La poésie conduit à l’être. Elle fait réponse à l’être. J’ajoute que cette épithète doit se comprendre dans sa polysémie : premièrement, comme réponse au mystère de la vie par le mystère de la poésie, et deuxièmement, en même temps, comme un poète engageant sa parole, comme un peintre répondant de l’authenticité de son tableau.
À mes yeux, la pensée du poète, et bien entendu la poésie de J.-P. Vidal, ressemblent à un nuage ; nuage qui se forme et se déforme, s’use, s’ouvre, se dilate, répond du secret de la nature par des figures étranges parfois, tout en restant sans cesse en relation avec le ciel. Le poème dépend de cette météorologie, de cette troposphérique. Ainsi, rien ne l’empêche d’introduire la chair au sein de l’amour, le désir sous la forme d’une femme aimée, l’inquiétude encore à quoi le corps, le corps de chacun, répondrait.
Jeunes pieds nus de jeunes filles à peine pubères, et leurs souliers qui volent, dans les rues de la ville en pente. Lausanne ou Lisbonne, ou Alger. À cet instant où je n’y suis pas.
Selon moi, en en venant à des thèmes universels, celui de la grâce, précisément, on ne quitte ni l’être ni la grâce de l’être : l’être et sa sollicitude infinie, sa croyance, sa capacité d’imager, poème du poème de toute réponse. Et de bon gré, ce chant elliptique est cependant rayonnant, demeure clair autant dans la prose de la première partie du Passage des embellies que pour les vers de Thanks.
Didier Ayres
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