Pas encore une image, Jean Daive (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Pas encore une image, Jean Daive, novembre 2019, 304 pages, 29 €
Edition: L'Atelier ContemporainSi, et comme l’écrit Bataille, « L’œuvre est œuvre seulement quand elle devient l’intimité ouverte de quelqu’un qui écrit et de quelqu’un qui la lit », il arrive que les choses se « compliquent » dans la littérature et l’art contemporains. S’y déploie la contestation mutuelle du pouvoir de montrer et d’écrire. Et ce, depuis le départ d’une expérience qui chez Jean Daive est presque viscérale. Pour s’en convaincre – avant de revenir plus avant – il suffit de se reporter aux derniers mots du livre : « Pas encore une image présente un établi de calculs, de méthodes, de chaos progressant vers un état d’unité. Il y a croissance à l’envers parce que l’enfant marchera, parlera grâce aux nœuds de développement ». Surgit dans le livre le bilan de cette marche. L’enfant est devenu vieux. Mais qu’importe. Le corpus n’en est que plus puissant. Rassemblant des entretiens avec Toni Grand, Sophie Calle, les Klossowski, Jacqueline Risset, Daniel Buren, et bien d’autres, Jean Daive prouve comment – et en interactions et connivences – art et littérature ont ouvert leur champ selon divers « incestes ». Par le corps exhibé de la peinture, l’écriture trouve parfois une ouverture capitale. En retour, elle crée des seuils aux images. Si bien qu’à la fin du siècle dernier s’instaure l’apogée d’une communauté inavouable entre les deux.
Daive met l’accent sur les arts, mais s’y retrouve en filigrane ce que les Artaud, Beckett, Novarina, Tarkos, ont tenté de leur côté tout en sachant que quelque chose résiste toujours. L’écriture donne du corps mais en état de bâtardise. Il demeure toujours à l’état d’énigme. L’art par ses mutations tente de s’en approcher. Certes il existe toujours en son placard un cadavre. Mais par lui, la chose reste cachée, sort de sa réserve, et donne vision aux « boîtes » (pas seulement celles de Boltanski) dont on ne possédait pas la clé. Il en va de même pour l’écrit. A ce titre, entre un dire et un non-dire, un voir et un non-voir, surgissent non seulement un croire voir ou un croire entendre. Loin des mises à l’écart, mots et images se répondent. Certes une dissimulation forcément s’y expose. Car l’écriture comme les écritures en plus belles filles du monde ne peuvent donner que ce qu’elles ont en restant chacune de leur côté. En ce sens, chaque médium reste aussi dérisoire que précieux. Et de la sorte, l’écrivain comme l’artiste reprennent un jeu que chacun a pu connaître mais qui soudain se développe en sortant de ses cloisons de sécurité.
Par l’art, l’écriture cerne à la fois l’espace du secret et de l’intime et construit une forme d’identité sans doute étrange. Toutefois, avec les mots, l’art propose une identité construite à l’aide d’indices plus ou moins évidents. Jaillissent ainsi des images et des textes qu’on prit comme « sourds » mais qui jaillissant de l’affolement d’où ils proviennent créent ces fameux « Pas au-delà » appelés par Blanchot et ce non hors du corps de la peinture ou de l’écrit mais dedans. Jean Daive illustre par ces « scénographies » ce qui au lieu de prétendre dévoiler, montre à la fois comment garder du secret et comment se fomente le plaisir de détenir un secret. L’écriture y est réinsérée dans ce qu’elle possède d’essentiel et d’ambigu : voiler et dévoiler, montrer et cacher comme si en dévoilant « tout » l’écrivain risquait d’une part et accessoirement de perdre son aura mais surtout de se déposséder de lui-même.
Quant à l’art, il a du corps mais tout autant des limites lorsqu’il ne fait confiance qu’à lui-même. Il repose pourtant la question essentielle du « Que fait le corps ? ». Et à travers les œuvres retenues de Gilbert et Georges à Nan Goldin, de Shirley Jaffe à Klossowski ou Sophie Calle, surgissent des mondes sur un mode aussi dérisoire que tragique en des expériences particulières. L’énigme s’y accroche. Il n’y a donc pas loin de l’art à l’écrit. Les rapprocher est une manière pour les deux de ne pas se réduire à des tombeaux ou reliquaires. Ils demeurent alors le moyen de lutter contre l’anéantissement.
Jean-Paul Gavard-Perret
Jean Daive, poète et romancier, co-créateur des Nuits magnétiques de France culture, animateur de Peinture fraîche, et créateur de revues (KOSHKONONG, par exemple), a passé toute une partie de sa vie à l’écoute des peintres. Il reste au premier plan pour relater ce qui s’est passé dans l’art et la littérature.
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