Pas bouger, Emmanuel Darley
Pas bouger, 56 pages, 9 €
Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Actes Sud/Papiers
« Soit le point A, soit le point B »
Il y a A, un homme qui marche parce que « ceux du départ » lui ont dit que « là-bas » il rencontrera un, une cycliste. C’est un ordre, une mission, le but peut-être de sa vie. Il progresse droit devant, en direction du coucher du soleil. Il y a B, un homme figé, immobile qui, lui, attend le signal qui l’autorisera à entrer dans le mouvement. Il est celui qui répète dans l’économie maladroite, sans respect de la syntaxe : « Pas bouger ». Commandement qu’il se donne à lui-même, dans la répétition, dans un refus buté de tout autre vécu, semblable à un soldat de terre cuite de l’empereur Qin Shi Huang.
Ils se rencontrent, s’éloignent l’un de l’autre puis se retrouvent, font un bout de chemin ensemble et à nouveau se séparent comme nous le faisons dans notre vie. Le jour et la nuit se succèdent selon la construction de la pièce, en 6 parties ou scènes. Chacun d’entre eux affirme son point de vue sur la vie. D’un coté le Mouvement, la découverte du monde (p.45) et de l’autre la Contemplation. Cosmique. B dit à A (p.31) :
Pas bouger. Regarder étoiles et lune.
Mouvement des planètes. Conjonctions.
Silence.
A, lui, « avance, observe, prend les choses comme elles viennent » (p.28).
B est un Ming, « pondu » de maman et papa qui sont juste venus faire leur affaire. Sur la route, A croise d’autres Ming presque menaçants, lui sommant de s’arrêter, de ne pas bouger.
Il en réchappe et reprend sa marche. N’est-il pas en quête de l’Amour avec un grand A, en écho à « son nom » ? Au bout de la route, par-delà les collines, il réalisera enfin ses envies, ses vieux rêves, en tout cas il en est convaincu. Il veut même entraîner dans sa course B, l’immobile, et finalement y parviendra en lui tenant la main comme nous le faisons avec un enfant qui découvre la marche. Marcher est aussi une grande affaire humaine, celle qui révolutionna l’évolution des espèces. Ils avancent ensemble (p.46-7). Ils sont devenus frères en quelque sorte au moment où B prononce la bribe de phrase, qui bouleverse la logique du titre de la pièce, en trahissant les siens par là-même :
B. Moi, bouger, honte des Ming.
Tout son corps doit appendre alors à entrer dans cette mise en mouvement et son pendant, l’arrêt : s’asseoir ou s’étendre sur le sol. A se fait son guide. Il l’initie à la lumière d’une lampe de poche dans l’obscurité : il est nécessaire de savoir se diriger. Pourtant Ming a la force du regard sur le cosmos, le monde des sentiments. Sa parole si rare, lapidaire se fait alors tirade métaphysique (p.51).
Connaître jour. Nuit. Lumière. Soleil. Nuages. Soleil levé, soleil couché, lune, étoiles, Saturne, Jupiter. Connaître vent, connaître froid, chaud, pluie, neige. Gel…
Connaître peur, attente. Connaître ennui. Temps passé. Temps venu…
Et puis soudain passe une fille en vélo, dans le brouillard. Elle ne fait que passer avant de disparaître avant qu’A ne puisse l’apercevoir à la différence de son compagnon B. Toute une vie pour cela ? mais peut-être une libération au fond comme celle de B sans entraves désormais. Ils peuvent alors suivre leur chemin et imaginer qu’ils se reverront bientôt. La vie continue, n’est-ce pas.
Emmanuel Darley dans ce texte, comme dans son dernier roman Le Bonheur, dit de nous que nous sommes ceux qui allons d’ici à là-bas.
Pas bouger a été créée en 2001 à Nîmes dans une mise en scène de Jean-Marc Bourg.
On peut retrouver d’autres lectures de Darley dans la Cause littéraire (2016)
Marie Du Crest
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