Parlez-moi d'Anne Frank, Nathan Englander
Parlez-moi d’Anne Frank, trad. USA Elisabeth Peellaert mars 2013, 206 p. 21 €
Ecrivain(s): Nathan Englander Edition: Plon
Ce recueil de nouvelles s’ouvre par celle qui donne son titre au livre : « Parlez-moi d’Anne Frank ». Curieusement, c’est loin d’être la meilleure et ne vous découragez pas à sa lecture, la suite est beaucoup plus intéressante.
Nathan Englander est dans son univers habituel : les familles juives, américaines ou israéliennes. Les histoires qu’il raconte ici se situent aussi bien dans l’actualité que dans un passé récent, pour être plus précis depuis l’après-guerre, l’après-Shoah. Et c’est bien la Shoah qui est le thème obsédant de ces nouvelles, obsédant comme dans l’esprit et la psychologie des personnages d’Englander – d’Englander lui-même. Américains de la post Guerre mondiale ou Israéliens depuis la même époque, les personnages de ces histoires n’ont pas d’autre moteur à leur rapport au monde que le souvenir – même indirect – de la Shoah. Au point que la terreur de la disparition puisse tordre jusqu’à la perception du réel, jusqu‘à l’absurde :
« Notre souci, dit Mark, n’est pas l’Holocauste passé. C’est l’Holocauste actuel. Celui qui détruit plus de cinquante pour cent des Juifs de la génération présente. Notre souci, c’est le mariage mixte. » (Parlez-moi d’Anne Frank)
Israël se pose ici, dès la 2ème nouvelle, comme la suite historique et éthique de la Shoah. « C’est le genre de colline où on peut construire une vie. » (Collines jumelles) Mais Englander n’est pas dans l’apologie du sionisme, loin s’en faut. Au bas des collines, il y a les Palestiniens, expulsés de leurs terres et qui sont là, comme une question permanente de légitimité. L’autre obsession après – avec – la Shoah : la légitimité. Celle d’Israël, mais aussi celle des Juifs aux Etats-Unis, en butte à l’affect antisémite et à l’éternelle question sur soi des Juifs de la Diaspora. Le recueil est ainsi construit, dans un mouvement régulier d’aller-retour de la diaspora à Israël et inversement, avec la même question centrale de la légitimité du Juif : y en a-t-il une possible, ici ou là ?
« Le plus souvent, le harcèlement visait les frères Blum et leur maison. Je ne sais pas si c’était sa proximité avec celle de l’antisémite, le fait d’avoir appelé la police ou la gifle infligée à l’antisémite en public. Parfois je ne peux m’empêcher de penser que les Blum avaient été choisis pour cibles parce qu’ils lui faisaient la même impression qu’à moi : si petits et avec de tels airs de victimes que c’en était presque attirant. » (Comment nous avons vengé les Blum)
Et sans cesse, en écho terrible, l’autre histoire, le cauchemar dans la mémoire :
« Quand ma mère raconta à mon père ce qui était arrivé, il ne voulut pas le croire.
- Personne ne veut jamais croire ce qui arrive aux Juifs, dit-elle, même pas nous. »
Et pour clore ce recueil, la nouvelle la plus poignante, qu’on ne peut lire autrement que comme une histoire métaphorique de l’état d’Israël et de la psychologie dure, violente, intolérante de ses habitants. Le chemin (aussi réel qu’imaginaire ?) qui mène des camps d’extermination à la terre d’Israël, qui mène de la situation de victimes impuissantes à celle de soldat brutaux et impitoyables.
Nathan Englander est un nouvelliste classique. Il raconte des histoires qui constituent des récits clos. Et il y excelle, dans une écriture sèche et linéaire qui ajoute à la violence latente qui sourd de ces lignes.
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
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VL3 : assez haute VL
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