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Paris, je t’aime !, Colette (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 10.03.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits

Paris, je t’aime !, Colette, Éditions de L’Herne, 2023, 160 pages, 14 €

Ecrivain(s): Colette

Paris, je t’aime !, Colette (par François Baillon)

 

Ce recueil de textes de Colette, parfois inédits, se découpe en deux sections : Paris, je t’aime !, et J’aime être gourmande, qui ont fait l’objet d’éditions séparées auparavant. Réunis par Gérard Bonal (décédé en 2022) et Frédéric Maget, il reprend parfois des articles où la célèbre écrivaine s’adressait aux lectrices de Marie-Claire. Et il est à noter que, même dans ce type d’exercice – que l’on pourrait considérer de second ordre –, on retrouve dès les premières lignes la signature inimitable du ton et du style de Colette.

En vérité, bien des thèmes chers à son œuvre se rassemblent dans ce recueil : la présence magnétique des animaux, avec « La “Chatte”, celle qui n’a pas voulu d’autre nom », dont elle fait un personnage à part entière, si ce n’est un Sphinx, compagne à la fois calme et déterminée, hautement mystérieuse, sans que l’auteure ne se départisse de l’émotion éprouvée lors de leur rencontre, très singulière, ou lorsqu’elle porte attention à son étrange langueur, à l’approche d’une ultime étape…

On retrouve son admiration pour les artistes, exprimant force observations sur ce qui fait que Bette Davis est, selon elle, « la plus grande actrice du cinéma » (p.105). Et si certains noms connus se recroisent, on tombe aussi sur des acteurs et actrices parfois oubliés. La présence de l’enfance n’a pas échappé à la collecte de ces textes, ces enfants qu’elle entend régulièrement par la fenêtre de son appartement au Palais-Royal, qui lui rappellent les rires et la liberté confondus au centre de son propre jardin d’enfance. « Tendre vers l’achevé, c’est revenir à son point de départ », a-t-elle écrit. Se rapprocher de la saveur des premiers émois l’a probablement guidée sur le chemin de sa dernière installation au Palais-Royal. Et de Paris, il en est fort question ici.

Colette a rejoint la capitale dès vingt ans et n’a plus jamais cessé d’y habiter – tout en acquérant d’autres maisons en France. « Comme beaucoup de grandes amours, celui que je porte à Paris a commencé par l’aversion » (p.21). C’est cependant au sein de la capitale qu’elle comprendra combien il lui est loisible de retrouver ses « provinces », décrivant pour nous un Paris désormais lointain, où les accents, les us et coutumes, les spécificités culinaires émergeaient avec bien plus de relief qu’en notre XXIème siècle – à la lire, on a l’impression, il est vrai, de traverser diverses régions au sein d’une carte réduite de la France. Tel est le regard de Colette, qui néanmoins ne veut pas se contenter de célébrer, mais qui tient avant tout à nous livrer, par les mots, une forme de véracité. Nous permettre de toucher du doigt les lieux qui sont les siens. C’est aussi, et incontestablement, ce qui rend l’expression de sa gourmandise si palpable, car elle réussit à nous ouvrir l’appétit.

Le recueil évoque également la Seconde Guerre mondiale : ainsi ce texte adressé aux « jeunes femmes d’aujourd’hui », datant de mai 1940, est-il déjà l’élan d’une solidarité et d’une résistance remarquables. Et assurément, si l’on aime Colette, cet ensemble de textes ne fait que nous réunir à elle. Car si l’affaire de la littérature est une question de style, l’affaire du style, quant à elle, est très proche d’une question de poésie, si ce n’est corollaire. Colette est une poétesse sans jamais prononcer de vers. Il ne s’agit pas seulement d’un regard émerveillé – même s’il est bon de se rappeler que l’émerveillement, générateur d’enthousiasme, est signe du vivant. Journaliste, Colette a bien le souci du vrai, rameutant vers elle des mots à la fois savants et quotidiens, dans le but de les concocter avec équilibre au sein d’un plat mijoté. Dans le but, non pas uniquement de restituer, mais de laisser à notre portée le réel qui se présente à elle.

Le reste est propre au mystère du créateur et à son estime personnelle de l’harmonie : « [La dernière heure de l’année] est pareille pour la corolle à une rosacée, sœur de l’églantine et de la fleur du pommier. Comme une sirène sur sa queue, elle se tient debout sur sa tige qui se retourne avec grâce, une seule grosse feuille latérale fait songer, large et charnue, à la langue du chien haletant, et toute la plante brille d’un feu non point fixe mais palpitant, blanc et émietté. Je ne compte pas sur des mots pauvres pour vous la rendre visible, aussi bien elle s’éteint avec la première minute de l’année nouvelle. Sans doute elle vient pour attester que d’une enfance heureuse quelque chose survit, et qu’un présent âpre ne saurait faner l’avenir » (p.136). « En juin, au soleil levé, la fraise y croule, la rose déferle, la groseille en grappes porte un défi à l’adonide goutte de sang, le delphinium bleu mire le ciel. La moindre touche bleu, dans la pénombre, est une pervenche céleste. Un corsage vert flambe, au contact d’un monceau orange de soucis, le gosier des glaïeuls est de feu. Tumulte de couleurs, tumulte de cris. Les Halles et la Bourse sont les deux seuls parvis où l’on dialogue à pleine voix, avec une violence méridionale » (p.47).

 

François Baillon

 

Colette, de son vrai nom Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954), fut écrivaine, actrice et journaliste. Elle fut Présidente de l’Académie Goncourt entre 1949 et 1954. Auteure de nombreux romans, ses fictions s’inspirent en grande partie de sa vie personnelle, magnifiées par un style aussi fluide que riche, propre à l’état contemplatif, où la délicatesse et la sensualité du mot n’en laissent pas moins entrevoir une complexité plus profonde.



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A propos de l'écrivain

Colette

 

Colette, nom de plume de Sidonie-Gabrielle Colette, née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne) et morte le 3 août 1954 à Paris, est une romancière française. Après Judith Gautier en 1910, Colette est la deuxième femme élue membre de l’Académie Goncourt en 1945. Elle en est également la première femme présidente entre 1949 et 1954. Adolescente, Colette rencontre Henry-Gauthier Villars, surnommé Willy, avec qui elle se marie. Il introduit Colette dans les cercles littéraires et musicaux de la capitale où la jeune femme fait sensation. Vite saisi par les dons d’écriture de sa jeune épouse, Willy l’utilise elle aussi comme nègre littéraire (le premier manuscrit de Colette date de 1893) puis dès 1895 l’engage à écrire ses souvenirs d’école, qu’il signe de son seul nom. On compte parmi ces écrits la série des Claudine : Claudine à l’école, bientôt suivi de La Maison de Claudine, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va, publiés sous le nom du seul Willy. En 1905 elle publie le premier livre sous son nom de Colette Willy, Dialogues de bêtes. Encouragée par le comédien et mime Georges Wague (1874-1965), elle commence alors une carrière au music-hall (1906-1912), où elle présente des pantomimes orientales. Par la suite elle se produit au théâtre Marigny, au Moulin Rouge, au Bataclan, ou en province (ces spectacles transparaîtront dans La Vagabonde ou L’envers du music-hall). Après son divorce, Colette a une brève liaison avec Auguste-Olympe Hériot, rencontré à la fin de 1909. Puis elle fait la connaissance de Henry de Jouvenel, politicien et journaliste, qu’elle épouse en 1912 et qui l’engage à donner quelques billets et reportages au Journal Le Matin dont il est le rédacteur en chef. De lui, à Castel Novel de Varetz (Corrèze), elle aura sa seule enfant, Colette Renée de Jouvenel, dite « Bel-Gazou ». En 1945 Colette est élue à l’unanimité à l’Académie Goncourt dont elle devient présidente en 1949. Ayant vitre compris que la célébrité passe par la maîtrise de son image, elle devient l’écrivain la plus photographiée du 20e siècle. Les Œuvres complètes de Colette sont publiées en quinze volumes par la maison d’édition Le Fleuron, créée par Maurice Goudeket. Elle meurt le 3 août 1954. En dépit de sa réputation sulfureuse et du refus par l’Eglise catholique d’un enterrement religieux, Colette est la première femme à laquelle la République ait accordé des obsèques nationales. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Sa fille repose à ses côtés.

 

A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.