Paris, je t’aime !, Colette (par François Baillon)
Paris, je t’aime !, Colette, Éditions de L’Herne, 2023, 160 pages, 14 €
Ecrivain(s): Colette
Ce recueil de textes de Colette, parfois inédits, se découpe en deux sections : Paris, je t’aime !, et J’aime être gourmande, qui ont fait l’objet d’éditions séparées auparavant. Réunis par Gérard Bonal (décédé en 2022) et Frédéric Maget, il reprend parfois des articles où la célèbre écrivaine s’adressait aux lectrices de Marie-Claire. Et il est à noter que, même dans ce type d’exercice – que l’on pourrait considérer de second ordre –, on retrouve dès les premières lignes la signature inimitable du ton et du style de Colette.
En vérité, bien des thèmes chers à son œuvre se rassemblent dans ce recueil : la présence magnétique des animaux, avec « La “Chatte”, celle qui n’a pas voulu d’autre nom », dont elle fait un personnage à part entière, si ce n’est un Sphinx, compagne à la fois calme et déterminée, hautement mystérieuse, sans que l’auteure ne se départisse de l’émotion éprouvée lors de leur rencontre, très singulière, ou lorsqu’elle porte attention à son étrange langueur, à l’approche d’une ultime étape…
On retrouve son admiration pour les artistes, exprimant force observations sur ce qui fait que Bette Davis est, selon elle, « la plus grande actrice du cinéma » (p.105). Et si certains noms connus se recroisent, on tombe aussi sur des acteurs et actrices parfois oubliés. La présence de l’enfance n’a pas échappé à la collecte de ces textes, ces enfants qu’elle entend régulièrement par la fenêtre de son appartement au Palais-Royal, qui lui rappellent les rires et la liberté confondus au centre de son propre jardin d’enfance. « Tendre vers l’achevé, c’est revenir à son point de départ », a-t-elle écrit. Se rapprocher de la saveur des premiers émois l’a probablement guidée sur le chemin de sa dernière installation au Palais-Royal. Et de Paris, il en est fort question ici.
Colette a rejoint la capitale dès vingt ans et n’a plus jamais cessé d’y habiter – tout en acquérant d’autres maisons en France. « Comme beaucoup de grandes amours, celui que je porte à Paris a commencé par l’aversion » (p.21). C’est cependant au sein de la capitale qu’elle comprendra combien il lui est loisible de retrouver ses « provinces », décrivant pour nous un Paris désormais lointain, où les accents, les us et coutumes, les spécificités culinaires émergeaient avec bien plus de relief qu’en notre XXIème siècle – à la lire, on a l’impression, il est vrai, de traverser diverses régions au sein d’une carte réduite de la France. Tel est le regard de Colette, qui néanmoins ne veut pas se contenter de célébrer, mais qui tient avant tout à nous livrer, par les mots, une forme de véracité. Nous permettre de toucher du doigt les lieux qui sont les siens. C’est aussi, et incontestablement, ce qui rend l’expression de sa gourmandise si palpable, car elle réussit à nous ouvrir l’appétit.
Le recueil évoque également la Seconde Guerre mondiale : ainsi ce texte adressé aux « jeunes femmes d’aujourd’hui », datant de mai 1940, est-il déjà l’élan d’une solidarité et d’une résistance remarquables. Et assurément, si l’on aime Colette, cet ensemble de textes ne fait que nous réunir à elle. Car si l’affaire de la littérature est une question de style, l’affaire du style, quant à elle, est très proche d’une question de poésie, si ce n’est corollaire. Colette est une poétesse sans jamais prononcer de vers. Il ne s’agit pas seulement d’un regard émerveillé – même s’il est bon de se rappeler que l’émerveillement, générateur d’enthousiasme, est signe du vivant. Journaliste, Colette a bien le souci du vrai, rameutant vers elle des mots à la fois savants et quotidiens, dans le but de les concocter avec équilibre au sein d’un plat mijoté. Dans le but, non pas uniquement de restituer, mais de laisser à notre portée le réel qui se présente à elle.
Le reste est propre au mystère du créateur et à son estime personnelle de l’harmonie : « [La dernière heure de l’année] est pareille pour la corolle à une rosacée, sœur de l’églantine et de la fleur du pommier. Comme une sirène sur sa queue, elle se tient debout sur sa tige qui se retourne avec grâce, une seule grosse feuille latérale fait songer, large et charnue, à la langue du chien haletant, et toute la plante brille d’un feu non point fixe mais palpitant, blanc et émietté. Je ne compte pas sur des mots pauvres pour vous la rendre visible, aussi bien elle s’éteint avec la première minute de l’année nouvelle. Sans doute elle vient pour attester que d’une enfance heureuse quelque chose survit, et qu’un présent âpre ne saurait faner l’avenir » (p.136). « En juin, au soleil levé, la fraise y croule, la rose déferle, la groseille en grappes porte un défi à l’adonide goutte de sang, le delphinium bleu mire le ciel. La moindre touche bleu, dans la pénombre, est une pervenche céleste. Un corsage vert flambe, au contact d’un monceau orange de soucis, le gosier des glaïeuls est de feu. Tumulte de couleurs, tumulte de cris. Les Halles et la Bourse sont les deux seuls parvis où l’on dialogue à pleine voix, avec une violence méridionale » (p.47).
François Baillon
Colette, de son vrai nom Sidonie-Gabrielle Colette (1873-1954), fut écrivaine, actrice et journaliste. Elle fut Présidente de l’Académie Goncourt entre 1949 et 1954. Auteure de nombreux romans, ses fictions s’inspirent en grande partie de sa vie personnelle, magnifiées par un style aussi fluide que riche, propre à l’état contemplatif, où la délicatesse et la sensualité du mot n’en laissent pas moins entrevoir une complexité plus profonde.
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