Paris-Austerlitz/Paris
Jeudi
Depuis le quai de la gare, je vais comme si je retrouvais le fil d’une liaison entre les différentes personnes que je suis, comme un anonyme, fait d’humeurs et de corps, de pensées, de matières spirituelles variables. Cette déambulation, qui se terminera ce soir au train de une heure, me conduit depuis le quai de la Râpée jusqu’à la place de la République.
Qu’ai-je vu ? Des statues japonaises, boulevard des Filles du Calvaire, deux philodendrons vert chou qui s’épanouissaient dans le hall, et l’entrée de l’immeuble décorée par du marbre, et mille visages.
Paris-Austerlitz, quai 6, sous la grande coupole qui rappelle certains tableaux impressionnistes, coupole qui maintenant est accompagnée de beaux et grands immeubles de verre dépoli, je marchais jeudi, cherchant le beau, l’angoisse et le beau. Car il y a peut-être une vision qui anime l’angoisse ? Je dis cela sans prétention, juste parce qu’il y a cette jeune femme avec sa blouse blanche et sa minerve comme un bandage, ou ce livret à demi lu des poèmes d’Haussmann, et cette vibration, brève et plaisante, de la présence des êtres humains dans la rue qui sont touchés par le secret, par une question suspendue en eux dans leur regard, dans le pli noir de cette chevelure de femme : qui sont-ils ? Quelle est-elle ? Je ne sais. Beauté et douleur vont ensemble en même temps aujourd’hui.
Et je repense à cette giroflée dans le grand huit de l’éclairage public qui persistait hier soir dans la rue du cimetière, qui me revient par fragments au milieu de tout ceci, et qui augmente cette dislocation. Et ce travail à griffonner sur un tout petit carnet me pousse et me rapproche de midi.
Cette esplanade est un théâtre, une forme de scène belle et curieuse où, par exemple, il y a une espèce de pilote d’hélicoptère – que je retrouverai dans la fournaise de la gare du train du soir avec une surprise incroyable – ou ces deux amants malgaches qui ressemblent à ces oiseaux aux ailes coupées dont parle parfois la littérature, se tenant ici comme des êtres de l’adieu ; du plus jamais. Et cette femme au voile islamique carré dont le visage est irradié par la beauté brune de sa peau, joue elle aussi une scène. Et tout cela se presse comme les automobiles et les véhicules qui s’entrecroisent ici ou là.
Oui, tout est pareil depuis toujours, et la beauté surplombe la ville, se dédouble dans les vitrines par un jeu de miroirs déformants, espace inexplorable, uniquement fait d’images spéculaires. Paris/Austerlitz continue son chemin, sa marche lente vers sa propre fin, le final de sa sonate.
Didier Ayres
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