Par où Or (ne) ment, Vincent Wahl (par Murielle Compère-Demarcy)
Par où Or (ne) ment, Vincent Wahl, Éditions Henry, Coll. Les Écrits du Nord, avril 2021, 204 pages, 14 €
Cet opus constitue la preuve par sa publication que la poésie peut prendre en charge la réalité, en l’occurrence le réel économique contemporain puisque le focus de ses mots s’est orienté sur un examen de l’économie néolibérale en cours (« Aucun de nous n’échappe à l’économie. Comment la poésie le pourrait-elle ? »). Davantage, ses mots se livrent au combat contre cette perspective économique : « quiconque en empoigne le pommeau, écrit Alain Damasio dans la préface, peut ressentir, je crois, cette excitation étrange d’avoir enfin une arme pour se battre (…) contre ce qui nous tient, se battre moins en frappant qu’en jouant du tranchant de la lame pour découper cette viande d’évidence qui s’avançait fauve et qui n’est qu’un monstre de papier, de frictions et de croyances : l’économie néolibérale, toute rugissante dans sa dette ».
Le titre joue sur les mots afin de souligner les apparences trompeuses, l’image de l’Or qu’il travaille révèle, par l’épée de forge du Dire poétique, des pans obscurs d’un paradis économique insidieux. Le sous-titre poursuit sur le même ton : « Manuel riche ». L’ornement (les pampres séduisantes vrillant autour du thyrse du néolibéralisme, spectre contemporain brandi par des forces au pouvoir) se révèle le bijou trompeur d’une réalité prise en étau dans un écrin bluffant.
L’économie néolibérale dans le viseur de Vincent Wahl, lequel avec honnêteté cite ses sources autrement dit « emprunts et dettes » dans un répertoire des citations en fin d’opus, est ici scrutée avec un œil critique fortifié « de nombreuses lectures, écoutes, visionnages » conférant à son examen une dimension didactique. La genèse et l’écriture de ce poème, nous précise l’auteur, ont duré une dizaine d’années. Recourant au procédé du collage, Vincent Wahl a amalgamé des citations, des résumés, des paraphrases et des formulations plus personnelles. Relevant le défi, non « fatal » (« ce n’était pas fatal non / pas fatal / qu’on réduise (l’or) à un métal »), d’appliquer à l’économie la puissance poétique, Vincent Wahl tente de dévoiler « en explorant les métaphores », les consentements tacites ou éloquents au travail dans la trame de ce langage esthétique qui pourrait s’avérer tout compte fait utile. L’auteur propose de suivre ici un parcours en cinq parties, avec l’évocation des émotions liées à la matérialité de l’argent dans « Présence réelle », l’aspect de sa dématérialisation sous la forme d’une dette dans « Partie double », la fabrique de cette dette financière dans « Transmues » et « Double fond », l’évocation des mythes sous-jacents enfin dans « Défondre ». Les personnages animant ce parcours sont l’Or, celui qu’il tient dans son emprise : Leeb Louis, la Dette et son avatar Biquette, Monsieur Sequin incarnation carnassière et rentière de la Dette, TINA « l’ensuqueuse », Lady-la-Tchatche « sa sèche maman », l’Alchimiste, le Prince, le Clerc, l’Anthropologue, le général Suter « en martyr de l’économie réelle, en pigeon d’une finance (…) déjà virtuelle », enfin l’Ane le non-profiteur. Où gît l’Or rutile un engrenage dont les roues pleines à ras bord d’argent monnayé tournent baudruches obscènes sur elles-mêmes dans des ornières emplies de joyaux entassés où se mire la Dette. Peut-on y échapper ? S’échapper de l’« insupportable aimantation » ? Et comment du point de vue collectif nous acquitter du grand corps malade de l’économie et bien vivre la dette « comme objet d’intérêt public non partisan » ? Comment faire accepter, se demandent « les croquants », et accepter, s’indignent les croqués, les renoncements indispensables ? L’opus poétique, « manuel riche » de Vincent Wahl, jalonne le cheminement de nos interrogations de balises et clins d’œil d’une lucidité aussi brillante mais plus clairvoyante que l’Or, le long d’un parcours examinant les rouages d’une machinerie politique à l’œuvre pour nous faire avaler la pilule via d’impeccables méthodes de communication bien huilées, pour noyer le poisson par la force pernicieuse de manipulations cupides habiles à imputer à chacun la dette publique et à l’assimiler à la dette privée. Qui est le trompeur, qui est le trompé ? Économie néolibérale, avez-vous dit ?
De la dépense publique
au moins autant que du climat :
Faire la mère des épouvantes
pari revendiqué – pari gagné
Pébroc une morale pour notre temps ? Sous l’œil de la Poésie « jamais plus jamais /Or / ne ment »…
Murielle Compère-Demarcy
Vincent Wahl, poète, chroniqueur, né à Strasbourg en 1957, vit aujourd’hui à Metz et à Paris. Il co-anime avec Alain Helissen, depuis 2007, un cycle de rencontres poétiques à la médiathèque Verlaine de Metz, et a publié : Œil ventriloque (2008) et Tous les râteliers (2010) aux éditions Rhubarbe ; Communauté des parlants (éd. Cylibris) ; livres d’artiste : à plats/asecs (éd. Eole) ; De nos coques les claire-voies et Six masques de Saturne (avec Max Partezana).
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