Par-delà les glaces, Gunilla Linn Persson
Par-delà les glaces, novembre 2017, trad. suédois Martine Desbureaux, 314 pages, 20,90 €
Ecrivain(s): Gunilla Linn Persson Edition: Les Escales
Envisagés au strict et exclusif point de vue numérique, et avec la sûreté du coup d’œil rétrospectif, sept morts, le 14 février 1914, ce n’est pas un chiffre considérable, surtout si l’on pense aux forces qui, au même moment, s’éveillaient lentement dans l’ombre, comme un chat étirerait ses griffes ; forces qui feront bientôt en Europe des dizaines de milliers de morts chaque jour. Mais, pour une petite île faiblement peuplée, perdue au large de la Suède, sept morts font un bilan énorme, surtout quand il s’agit d’une partie de l’avenir de l’île, d’enfants et d’adolescents partis faire la fête dans l’île voisine et qui choisirent de rentrer chez eux en passant par la mer gelée. Malheureusement, c’est aussi le moment que choisit, pour se déchaîner, la pire tempête de neige qu’on ait vue d’insulaire mémoire. Aucun des sept jeunes gens n’en réchappera et tous seront retrouvés morts de froid ou de fatigue. Dans ce petit monde isolé, où tout le monde se connaît, où tout le monde se déteste, où chacun a un vieux litige en cours avec tout le monde, la famille de l’adolescent qui menait ses camarades et avait eu l’idée insensée de vouloir rentrer en pleine nuit (il fut retrouvé mort, tenant dans sa main gelée une boussole dont il n’avait pas su se servir), cette famille fut désignée à la vindicte générale. Et, dans ce type de communauté, les haines sont tenaces.
Près d’un siècle plus tard, Herman Engström, apparenté au jeune homme responsable de la tragédie (même s’il mourut avec les autres), revient sur son île natale. Établi au Canada, il ne retourne en Suède que pour vendre les biens immobiliers qui lui appartiennent encore et se débarrasser du passé. Mais celui-ci colle aux semelles et Herman retrouvera Ellinor, son amour de jeunesse, demeurée sur l’île, célibataire, en compagnie du passé (incarné par son vieux père, impotent et autoritaire, reclus dans le grenier – une métaphore très freudienne). Par-delà les glaces ne vaut pas par l’épaisseur de son intrigue et par ses rebondissements (on devine rapidement comment cela va finir), mais par la subtile description des sentiments, des émotions, et par la peinture d’un milieu clos, mais encore relativement sain, si on le compare à l’humanité en voie de décomposition décrite par Millénium.
Gilles Banderier
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