Palladium, Boris Razon
Palladium, 21 août 2013, 496 pages, 22 €
Ecrivain(s): Boris Razon Edition: Stock
Le corps malade
La vie du personnage principal de ce roman, Boris, est ordinaire. Il coule des jours heureux auprès de sa compagne, Caroline. Il est entouré d’amis et de parents aimants. Sur le plan professionnel, il est journaliste et respecté de ses pairs.
Cependant, depuis plusieurs jours, il se sent terrassé par une extrême fatigue et n’a plus goût à la bonne chaire. De plus, il éprouve une extrême douleur au dos. Son entourage ne semble pas faire grand cas. Sa sœur, médecin, ne trouve rien d’anormal. Et pourtant, il va sans dire que Boris sombrera dans quelques jours dans le coma profond.
Le roman de Boris Razon, Palladium, est un récit autobiographique. Il raconte sa descente en enfer et sa vie volée à cause de la terrible maladie qui le frappe. Palladium se scinde en trois parties. La première insiste sur ce qu’il appelle La métamorphose. C’est la prémisse de la maladie. Il est pris au piège par divers symptômes qui vont confisquer lentement mais irrémédiablement son existence. Sa vie lentement bascule dans l’horreur sans qu’il sache réellement de quoi il souffre. La seconde partie intitulée Les aventures du Sphinx peut être lue comme un roman d’aventure fantastique aux accents surréalistes. En effet, le lecteur plonge avec l’auteur dans le coma. Il accompagne Boris dans ses hallucinations. La description est privilégiée ici dans ces pages. Le lecteur assiste tour à tour à la danse macabre des prostituées japonaises, à la prise de Singapour par des navires de guerre. Boris Razon est tantôt un meurtrier tantôt une victime. Dans ses rêves, il se bat, hurle, crie et s’accroche à chaque fois follement à la vie. Cette partie est la plus longue. Elle est censée montrer les souffrances de l’auteur qui, bien que dans le coma pour l’équipe médicale, est conscient de ce qui se passe autour de lui, de ce qui se dit sur lui. Pour échapper à cette réalité qui le réduit à un état végétatif, il s’enfuit, s’évade et entremêle réalité et fantasmes se faisant appeler « L’homme-légume » ou encore « L’homme-oiseau ». Son écriture est parsemée d’invectives à l’adresse du lecteur qu’il appelle son ami. Il lui confie ses souffrances, ses humiliations et son désarroi face à la maladie. Il lui fait part de son handicap qui l’a défiguré et dépossédé de sa vie d’avant :
« Tu imagines l’humiliation ? Tu vois ce corps nu et souillé exposé comme à l’abattoir … Tu comprends ce que je ressentais, non ? Tu comprends ce qui se passe quand tu ne t’appartiens plus, quand ton corps ne peut plus rien ? Tu dépends du bon vouloir des uns et des autres ».
La troisième partie est une sorte de conclusion, un retour vers les vivants. C’est un retour qui exige le dépouillement de soi et l’abandon total de ce qu’on a été. L’ensemble est un voyage initiatique aux couleurs tragiques.
Palladium est un roman autobiographie dans lequel Boris Razon parle de son expérience douloureuse et de son combat pour rester en vie. C’est un récit de témoignage qui vise peut-être aussi à donner du courage à d’autres qui se trouvent dans la même situation. C’est une sorte de course relais où l’auteur transmet à d’autres le bâton du courage et de la persévérance.
« Nous arrivons à la fin maintenant, alors ne me laisse pas tomber. Je ne te demande pas de croire aux forces de l’esprit, à notre capacité à entrevoir l’avenir. Je te propose de sentir l’animal qui sommeille en nous. J’ai été le théâtre d’un combat sans merci. Sous mes yeux, la vie et la mort n’ont cessé d’en découdre et je les ai vues. Chacune des deux était en moi. Je suis le fruit de ce combat et je voulais en garder une trace. Ce livre est notre palladium ».
Au terme de sa lecture, ce livre peut susciter un sentiment de malaise chez le lecteur. En effet, les détails donnés en abondance, la retranscription du dossier médical recensant l’état du patient jour après jour peuvent gêner le lecteur qui se voit comme un voyeur. La question se pose : peut-on tout dire ? Peut-on tout exposer et ce jusqu’à l’intimité de son corps malade ? Peut-on se servir de la maladie pour en faire un roman même avec le motif louable de donner du courage à d’autres patients dans le désarroi ? Entre littérature et voyeurisme, il y a matière à débattre…
Victoire Nguyen
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