Ouvrir, Guillevic
Ouvrir, décembre 2017, 352 pages, 25 €
Ecrivain(s): Eugène Guillevic Edition: Gallimard
Ouvrir, le recueil de textes de Guillevic que publient les éditions Gallimard en ce décembre 2017, est à la fois un livre et un portrait. Un livre bien sûr, car il rassemble les textes, proses ou poèmes publiés de façon éparse, qui vont de la période de formation à la maturité du poète. Et portrait aussi, car les textes réunis ici donnent à voir un ensemble d’œuvres qui fonctionne à la manière d’une sorte de description cubiste et dessine une image du poète, tout à la fois du grand poète que l’on connaît, mais aussi par des arêtes diverses et parfois nouvelles, petites touches qui font la représentation d’un homme vivant derrière l’œuvre poétique. Ainsi, qu’il s’agisse de l’amitié pour Elsa Triolet ou des peintres de l’entourage de l’écrivain, on est toujours en alerte et on suit le raisonnement de l’homme, non pas comme en une page, mais in vivo, dans l’atelier même du poète.
Donc, le fait que ces textes soient des contributions épisodiques, parus de manière disséminée, soit en tirage de livres d’artiste, ou de plaquettes, ou de cartons d’invitation, ou encore d’incipit à des catalogues de peintres qu’aimait Guillevic, on voit néanmoins comment se fabrique l’univers intérieur de ce grand poète de la vérité. Oui, vérité, quête de tout créateur, et ici sans doute, vérité dépouillée, encline à la simplicité, au dépouillement volontaire. Ainsi, l’auteur nous fait aimer ce principe de retenue qui le guide, celui de la sobriété esthétique, sobriété décidée, par le saisissement de très peu de choses, et de là toute une poétique pleine – qui se développe comme ces fameuses fleurs en papier du Japon qui s’ouvrent dans l’eau.
L’arbre,
On a beau le regarder,
On a beau vouloir :
On n’est pas pareil.
C’est plutôt dommage.
On devine assez bien ce que ne révèle pas par exemple La Recherche de la base et du sommet de René Char, c’est-à-dire la programmatique de l’écrivain. Guillevic nous confie, peut-être sans le savoir, le programme intellectuel de son travail de poète. Et cela sans nuire à l’aspect purement poétique des œuvres. On devine donc derrière le poème, la forge poétique de l’écrivain.
La poésie ne peut être définie, on le sait. On la vit ou on ne la vit pas et la vivre c’est communier avec les choses, avec le monde en paix ou en fureur, avec cette vibration qu’on appelle la vie.
Ou
Supervielle, poète humain de l’humain, poète de l’homme plongé dans le cosmos, poète de la vie quotidienne de l’homme en proie à toutes sortes de mouvements, de tourments et de joies, poète épique des jours dits ordinaires passés dans l’immensité.
Ou
Poésie : en moi, courant vital, fondamental qui agit à la façon d’un sixième sens et me met en communication avec les choses tangibles et non tangibles de ce monde. Pour un peu, je dirais : avec l’essence de ce monde.
C’est ainsi au double titre de livre et portrait, à la fois naturel et immatériel de l’auteur, concret et spirituel, que la pensée du poète s’ouvre justement au lecteur, ce qui évidemment nous intéresse le plus : le texte, et avec lui la matérialité des énoncés, et plus loin la personne du poète, avec son fantasme et son imagination.
Puisqu’il faut quand même conclure, laissons la plume de Guillevic nous « ouvrir » l’univers littéraire de l’être de chair, et nous dire sa relation avec le lecteur :
On n’est pas là, rempli
Comme une épicerie
Attendant qu’ils y viennent,
Les gens,
Vous demander
Ce qui leur manque.
Didier Ayres
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