Où la chambre d’enfant, Luce Guilbaud (par Didier Ayres)
Où la chambre d’enfant, Luce Guilbaud, éd. Tarabuste, août 2020, 72 pages, 12 €
Fluide existence
Le fil, même tendu, presque nerveusement, qui lie l’artiste à son enfance, et puisque ce livre nous y invite, est une tension, une attache, une liaison, un raccord avec la littérature, laquelle soutient, justifie, anime cette démarche. Du reste, il y a dans cet ouvrage, dans ce recueil poétique, deux champs organisationnels : le souvenir, l’enfance en sa mémoire spécifique, et le langage qui inscrit, saisit, redit, verbalise le souvenir. Et ces deux ligatures ne font qu’une trame : la chambre, une chambre, une chambre du souvenir, de l’enfance.
Cela dit, cette locution, l’endroit d’où parle le texte, est une voix féminine. Celle d’une enfant qui cherche à se définir, ou plutôt qui cherche à s’écrire, se décrivant aujourd’hui dans la mémoire, enfant traquant, esquissant peut-être la forme que fut l’enfant, la très jeune fille. Il y a donc un dédoublement, une discrépance dans les liens de la mémoire : d’un côté la femme qui est, parce que petite fille, et de l’autre, la femme qui n’est pas, car les définitions sont labiles ; donc une enfant qui n’est pas une fille, mais en train de devenir une fille, devenant fille.
L’endroit, et précisément, la chambre de cette enfant existe, et encore dans le giron objectif de l’enfant devenue femme, là où l’identité se constitue, lutte, se dessine, fait dessein, chambre matérielle d’une idée immatérielle, l’ensemble servi par la mémoire.
Où la chambre de la poète ? Où la chambre, en termes de photographie, de l’enfance ? Où la chambre en cette description en fragments ? Où la chambre d’enfant ? Ou : où la chambre d’enfant. Le texte nous autorise à cette variation. Il permet cette involution d’une chose qui n’existe plus, vers une chose qui se retire.
je suis une princesse qui n’aime pas dormir
ni coudre mais en découdre
je me raconte des histoires aux marches du palais
nous dormirons ensemble et aurons deux enfants
J’ai compris le livre ainsi : écrire l’enfance à l’instar d’une entomologie, papillon fuyant la présence de l’épingle qui en un sens, l’immortalisera. Saisir le temps, ainsi. De plus, sachant que par essence, écrire est une action dans la durée, une action temporelle, celle d’un mot vers l’autre, puis d’une phrase vers l’autre, puis d’une strophe vers l’autre. Luce Guilbaud nous décrit cet objet du délai, de la mémoire poreuse, d’une scène intérieure – qui peut-être n’a pas eu lieu ainsi, mais que la mémoire à cet instant T fossilise, ossifie, et sans doute, même pas définitivement.
la chambre d’enfant est à l’intérieur entre les côtes
ses vertiges ses attentes ses printemps
ses murs de terre fragile à colmater avant l’hiver
Mais qui connaît l’origine première ? Ce livre, construit par séquences de trois strophes sans ponctuation ni majuscules, cherche la fluidité, la coexistence, la coalescence de l’écrivaine avec son enfance. De plus, tout est cadré dans une atmosphère aquatique, baignades, présence de l’eau, voyages maritimes. Et évidemment, le flux des marées, ressemble, repose dirais-je, sur l’espèce de « for-da » freudien qui occupe les enfances, et engage alors la continuité des liens entre un soi-même et la définition de ce soi-même. En tout cas, c’est ce qui se communique au lecteur : l’apprivoisement de l’enfance, et son intégration en soi, sa fluide existence.
Didier Ayres
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