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Où la chambre d’enfant, Luce Guilbaud (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 12.10.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie, Editions Tarabuste

Où la chambre d’enfant, Luce Guilbaud, éd. Tarabuste, août 2020, 72 pages, 12 €

Où la chambre d’enfant, Luce Guilbaud (par Didier Ayres)

 

Fluide existence

Le fil, même tendu, presque nerveusement, qui lie l’artiste à son enfance, et puisque ce livre nous y invite, est une tension, une attache, une liaison, un raccord avec la littérature, laquelle soutient, justifie, anime cette démarche. Du reste, il y a dans cet ouvrage, dans ce recueil poétique, deux champs organisationnels : le souvenir, l’enfance en sa mémoire spécifique, et le langage qui inscrit, saisit, redit, verbalise le souvenir. Et ces deux ligatures ne font qu’une trame : la chambre, une chambre, une chambre du souvenir, de l’enfance.

Cela dit, cette locution, l’endroit d’où parle le texte, est une voix féminine. Celle d’une enfant qui cherche à se définir, ou plutôt qui cherche à s’écrire, se décrivant aujourd’hui dans la mémoire, enfant traquant, esquissant peut-être la forme que fut l’enfant, la très jeune fille. Il y a donc un dédoublement, une discrépance dans les liens de la mémoire : d’un côté la femme qui est, parce que petite fille, et de l’autre, la femme qui n’est pas, car les définitions sont labiles ; donc une enfant qui n’est pas une fille, mais en train de devenir une fille, devenant fille.

L’endroit, et précisément, la chambre de cette enfant existe, et encore dans le giron objectif de l’enfant devenue femme, là où l’identité se constitue, lutte, se dessine, fait dessein, chambre matérielle d’une idée immatérielle, l’ensemble servi par la mémoire.

Où la chambre de la poète ? Où la chambre, en termes de photographie, de l’enfance ? Où la chambre en cette description en fragments ? Où la chambre d’enfant ? Ou : où la chambre d’enfant. Le texte nous autorise à cette variation. Il permet cette involution d’une chose qui n’existe plus, vers une chose qui se retire.

 

je suis une princesse qui n’aime pas dormir

ni coudre mais en découdre

je me raconte des histoires aux marches du palais

nous dormirons ensemble et aurons deux enfants

J’ai compris le livre ainsi : écrire l’enfance à l’instar d’une entomologie, papillon fuyant la présence de l’épingle qui en un sens, l’immortalisera. Saisir le temps, ainsi. De plus, sachant que par essence, écrire est une action dans la durée, une action temporelle, celle d’un mot vers l’autre, puis d’une phrase vers l’autre, puis d’une strophe vers l’autre. Luce Guilbaud nous décrit cet objet du délai, de la mémoire poreuse, d’une scène intérieure – qui peut-être n’a pas eu lieu ainsi, mais que la mémoire à cet instant T fossilise, ossifie, et sans doute, même pas définitivement.

la chambre d’enfant est à l’intérieur entre les côtes

ses vertiges ses attentes ses printemps

ses murs de terre fragile à colmater avant l’hiver

 

Mais qui connaît l’origine première ? Ce livre, construit par séquences de trois strophes sans ponctuation ni majuscules, cherche la fluidité, la coexistence, la coalescence de l’écrivaine avec son enfance. De plus, tout est cadré dans une atmosphère aquatique, baignades, présence de l’eau, voyages maritimes. Et évidemment, le flux des marées, ressemble, repose dirais-je, sur l’espèce de « for-da » freudien qui occupe les enfances, et engage alors la continuité des liens entre un soi-même et la définition de ce soi-même. En tout cas, c’est ce qui se communique au lecteur : l’apprivoisement de l’enfance, et son intégration en soi, sa fluide existence.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.