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Orphée du fleuve, Luc Vidal (4)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) le 15.06.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Orphée du fleuve, Luc Vidal (4)

 

Orphée du fleuve, Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, 1999, 197 pages, 18 €

 

4. Écrire le mouvant poème, connaître les géographies du cœur. Luc Vidal, un poète, un éditeur pionnier.

Poète, de surplus poète du monde ouvert à la rencontre, Luc Vidal se nourrit des mots des autres poètes. Des toiles vivantes des peintres. Du poème vivant. D’ailleurs, des tableaux-poèmes se dessinent dans les Paysages fabuleux de l’Orphée du Fleuve. Ici,

« Un grand cheval rouge fait le tour de tes rêves

Et sur ta peau rougira le bonheur »

Là,

« Le soleil roule un rond blanc au-dessus des paysages

les villes ne bougent plus. J’ai bien froid ».

Dans Orphée les voyelles assonantes le poète lit « (…) Supervielle à même ta peau orangère » ; dansL’accompagnement bleu passe « Orphée des chimères avec Nerval entré dans la gorge » ; dans Les sentinelles Benjamin Péret et Robert Desnos « lèvent un regard à la santé des amoureux » ; pour Hugo des Anges – dont le poète est le « gardien » – « les vers dRimbaud passent en sifflant /Arthur Craven a signé ces sémaphores pour Hugo des Anges » ; apparaît au regard des frissons « un dessin de Paressant illustrant comme un Christ / de Gauguin un poème de Cadou » ; dans Voix lactéeô sœur lumineuse, le poète relit Alcools et Guillaume Apollinaire l’enchante…

Cet hommage rendu aux poètes « reconnus » par lui relève du même état d’esprit qui a fait de Luc Vidal aussi un éditeur pionnier en matière de poésie. Un extrait du Chiendents n°38, Cahier d’arts et de littératures publié en 2013 et intitulé Éditeur : Bons à tirer ? exprime cet état d’esprit et la lignée éditoriale suivie fidèlement par Luc Vidal :

« Il m’arrive souvent de poser cette question à mon interlocuteur : « Quand Narcisse ne va pas vers Orphée, vers où va-t-il ? » Un court silence s’installe… « Il va vers son nombril ». Et de là il est facile de glisser vers le verbe pronominal. Se prendre pour le nombril du monde est se penser comme très important. Un auteur est celui qui est la cause de quelque chose, créateur d’un ouvrage. Un éditeur, celui qui produit cet ouvrage, qui transforme un manuscrit en livre. Droits et devoirs de chacun. Droits d’auteurs : évident. Perte d’argent de l’éditeur : évident aussi. De nombreux auteurs demandent à leur éditeur petit, petit, de faire ce qu’un éditeur grand, grand ferait pour leur livre (…) Cette demande s’accompagne souvent d’une méconnaissance totale du catalogue de l’éditeur, de savoir qui il est, ce qu’il fait, ce qu’il réalise, ce vers quoi il tend » (Narcisse et Orphée).

Ou encore :

« Nous vivons une époque épique

Et nous n’avons plus rien d’épique

La musique se vend comme le savon à barbe

Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu’à en trouver la formule.

Tout est prêt : les capitaux, la publicité, la clientèle. Qui donc inventera le désespoir ? écrivait avec force et justesse Léo Ferré il y a plus de quarante ans.

Si vous n’avez pas de Capital en monnaie, il reste à utiliser le capital du désespoir, de la lucidité et les forces liées à l’esprit pionnier de toute véritable aventure qui sont alors sources de joie. Si, un jour, les livres que vous éditez se vendent, surtout ne perdez pas l’esprit pionnier. Les moyens acquis ne sont que les moyens de l’aventure. Ce qu’on peut reprocher à ceux qui dirigent la culture c’est d’avoir oublié les idées généreuses qui les ont poussés au pouvoir ou d’avoir mis par-dessus bord l’esprit inventeur de Malraux. Le plaisir éditorial existe, celui qui transforme la matière d’un texte et d’une étude, d’un manuscrit en livre ou en revue. Ce plaisir, c’est votre capital. Et ce plaisir peut et doit être partagé à part égale entre l’éditeur et l’auteur » (Das Kapital).

Dans Ma main seule comme un fleuve : « Ma main seule ouvre la nuit comme un tracer d’ombre et éclatant à la Chagall », surgit « ce Christ rouge de Blaise Cendrars quand il parle de la révolution en allée », et la fin de ce poème écrit l’acte d’écrire et formule la raison du vivre de l’Écrire : « L’art de prédire est né selon Apollinaire des sources de l’Aventure / moi le passant immobile qui écrit le mouvant poème / J’ouvre les livres, les anthologies de préférences pour connaître les anciennes géographies du cœur / je me laisse guider par le vent des mots et des chansons / en pensant au fleuve».

Un art poétique – l’Art poétique de Luc Vidal se dessine – dont le condensé magnifique est rendu avec force et justesse dans cet extrait de Ma main seule comme un fleuve :

 

« Ce poème de la matière est au cœur même de la matière

avec les grains de l’amour tremblant

Les femmes nues dans la nuit s’habillent de la fraîcheur du printemps

sous les fleuves qui mènent leurs marées jusqu’à ton âme

il y a une barque large et spacieuse prête au départ

seuls ce chien et les sentinelles de ton regard

la maintiennent à quai pour les directeurs du temps des fauves

mon amour six lettres deux syllabes d’incendie

aventureuses des lignes du cœur les solitudes flamboyantes de la joie

je veille depuis des années sur les années vives du sang des hommes

je mets le feu avec le papier de ce poème à l’âtre du seul

avec ma main seule dans la tienne sur les fleuves de la nuit

et tes rêves sur leurs rêves enfin libres de leurs routes

ces femmes éperdues, ma mémoire ton sortilège devenus fleuves de la nuit ».

 

Les astres du chant lexical tisonnant la poésie de Luc Vidal apparaissent dans la lumière de cet extrait (l’« amour », des « femmes », les « fleuves », les sentinelles du regard, les « lignes du cœur », la « joie »…) pour que flamboie – « (…) amour six lettres deux syllabes d’incendie » – la POÉ-SIE…

 

A suivre

 

Murielle Compère-Demarcy

 


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A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.