ON HAIR (par Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)
Amis Français d’ici ou d’ailleurs, good morning ! quel est votre premier souvenir capillaire ?
Est-ce la crise de larmes, parce que votre mère (ce sont encore les mères qui ont la main sur ce genre de choses) a coupé vos cheveux longs à six ans. Ou parce qu’elle vous a emmené chez le coiffeur en vous traînant par les pieds. Et rien n’a pu vous consoler. Jouets, livres, siège en forme de voiture, quoiqu’à notre époque ils étaient rares ceux qui avaient investi dans de tels équipements, vous avez hurlé comme si votre mère, ou l’horrible arracheur de cheveux, vous avait coupé la tête. La tête, les cheveux, pour vous c’était pareil. Vous alliez mourir, votre bras ou votre jambe amputés. Quant à ceux qui vous affirmaient que ça repoussait, vous les traitiez de menteurs. Regarde, c’est comme pour les arbres. Justement les arbres, ils saignent quand on leur prend une feuille, leur écorce entaillée pour fabriquer vos baskets en caoutchouc, vous l’aviez vu avec le figuier dans le jardin de vos grands-parents et vous connaissiez l’origine du caoutchouc. Bref.
Depuis, vous avez développé une aversion pour les coiffeurs, voire une peur phobique. De toute façon, c’est de notoriété publique, un coiffeur ne vous satisfera jamais. Vous, vous voulez être coiffé comme unetelle ou untel, au mieux comme vous-même, n’insistez pas, il suivra son protocole. Lui, il sait ce qui est valable sur vous.
Ou est-ce parce que votre mère vous a sévèrement puni car vous aviez volé une paire de ciseaux dans le tiroir de la cuisine, en équilibre sur le tabouret, vous auriez pu vous rompre le cou ou vous briser le crâne. Parce qu’à l’âge de six ans, vous vous êtes coupé la frange au niveau de la racine de vos cheveux. Le côté droit désormais plus court que le côté gauche. Direction le coiffeur. Les cheveux rasés. Comme votre grand-père qui se prenait pour l’acteur Yul Brynner, en tout cas lui, il avait trouvé un bon prétexte pour masquer sa calvitie.
Ou l’école. Dessiner le portrait de son camarade. Exercice que la maîtresse avait imaginé pour vous, votre camarade a dessiné un rond avec un trait à la verticale. Votre tête avec votre unique cheveu dressé. Vous aviez résolu le trauma en portant, en guise de cheveux, votre sous-pull en lycra, version années 70. La tête prise dans le col du vêtement, les manches nouées telles deux mèches autour de votre crâne, du plus bel effet. La maîtresse vous laissait faire jusqu’à la sortie de l’école. Retirer ledit vêtement. Subir l’électricité et sur votre tête, le bruit, vos quelques mèches hérissées et indomptables. Il ne vous restait plus qu’à pleurer.
À fureter dans les armoires de votre mère pour essayer ses perruques, déjà un signe flagrant d’un désordre familial lié au système pileux. Vous ensevelir donc sous d’immenses chevelures factices en essayant de dénouer l’insoluble question des racines. Dans le sol ou sur la tête.
Ah nos complaintes pilaires ! Le cheveu frisé, bouclé, raide, crépu, touffu, déclinaisons de couleurs et de coiffures, de tour de tête, de pellicules. Et de dommages. Se teindre, se faire décolorer ou se brunir, grisonner, blanchir, se dégarnir, payer très cher pour des implants. Pelade, tonsure, xérasie, alopécie sont les maux du siècle. Traitements contre le cancer, traitements hormonaux, stress, pesticides et autres réjouissances des temps modernes, ne vous défilez pas, très peu en sortirons indemnes !
Peut-être êtes-vous partis en Inde, vous recueillir dans les temples, prier pour que vos cheveux repoussent et entrevoir derrière, dans les salles derrière, des bols sur le sol et des femmes qui offrent leurs cheveux. Pour nourrir leurs proches et couvrir les crânes appauvris des femmes occidentales. Le monde se scinde désormais entre ceux qui enduisent et graissent leurs cheveux et les autres qui bannissent le cheveu gras. Filez en librairie pour démêler le nœud du problème (facile celle-ci, je vous l’accorde). L’enjeu des chevelures est indémêlable. Les mythes. Les croyances. Les représentations et les modes. Et les époques honteuses où les femmes furent tondues, leur humiliation marquée au rasoir. Sorcières, pétroleuses, criminelles, traîtresses. L’épuration par le scalp.
Aujourd’hui, les femmes brandissent les ciseaux. Elles coupent, elles font table rase. Elles expérimentent le cheveu synthétique devenu indétectable, méconnaissables, désirables. Elles ont le crâne chauve volontairement. Le visage sans le cheveu, le visage à nu. Le déclic pour affronter l’existence ou transgresser le regard de l’autre. Tenter, aller vers, ça bouscule celles et ceux qui les remarquent, elles font peur ou elles font avancer. Elles reprennent leur féminité. Leur identité. Libres et légères. L’identité n’est plus dans le cheveu et elles le revendiquent. Tu ne m’attraperas plus par les cheveux, scandent-elles. Les femmes se retirent, elles reprennent aux hommes leur séduction. Le cheveu n’est plus un pouvoir, c’est son absence qui est puissance de liberté. Les hommes d’ailleurs n’échappent pas à ce mouvement, le crâne affiché, le crâne rasé. Et ce qui n’est plus sur la tête l’est sur le visage. Retour en flèche de la barbe et des barbiers. Les femmes se délestent, les hommes se recouvrent. Les femmes apprennent à se défendre, les hommes à séduire. Et quand les expressions s’en mêlent, les femmes continuent à se crêper le chignon, les hommes à s’arracher les cheveux et les deux à se faire dresser les cheveux sur la tête. Tant que les enfants n’ont pas mal aux cheveux, tout va bien.
Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard
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