Omaha, Norman Ginzberg
Omaha, juin 2014, 320 pages, 19 €
Ecrivain(s): Norman Ginzberg Edition: Héloïse D'Ormesson
Pour son second roman, Norman Ginzberg abandonne le western et nous plonge dans l’enfer de la Seconde Guerre mondiale. Omaha Beach, le 6 juin 1944.
Deux frères, Walton et Karl Zimmermann, enfants d’une famille d’Allemands émigrés aux Etats-Unis, vont se retrouver dans cette bataille décisive pour le sort du conflit. Frères de sang certes, mais frères d’armes en aucun cas, chacun ayant choisi radicalement son camp. Pour l’aîné, Karl, l’intellectuel et le fils brillant adulé par ses parents, un séjour en Allemagne chez un oncle le convainc d’adhérer aux jeunesses hitlériennes et d’épouser la doctrine du national-socialisme. Quant à Walton, il brille plus au base-ball qu’aux études, préfère la compagnie des filles à celle des livres, et gagne sa vie en vendant des voitures à Chicago.
Séparés depuis 1938, ce 6 juin 1944, le destin va faire se croiser leurs routes en cette Normandie qu’ils découvrent à tour de rôle : Karl aux commandes d’une colonne de chars de la 12e Panzer SS, Walton, simple soldat dans son bataillon du 16e RCT, l’une des huit premières compagnies américaines à débarquer sur les côtes normandes.
En choisissant d’alterner le récit des combats vu du côté américain et du côté allemand, l’auteur livre une vision passionnante d’une guerre dont les protagonistes ont, en dépit de tenues, équipements militaires, cultures et langues différents, d’expériences du feu inégales, de multiples points de similitudes, avec leurs lots de « héros », de couards, de gradés cyniques ou paranoïaques, d’ivrognes malgré eux avalant à grandes goulées du calva pour se donner du courage, oublier les odeurs et visions d’apocalypse, et de simples soldats pris dans un engrenage qui les dépasse. Le sang, les viscères, les excréments, n’ont pas la couleur d’un uniforme. L’horreur est la même que l’on soit Polonais enrôlé de force dans les rangs de la Wehrmacht ou fermier de l’Indiana. Les haines ne sont pas réservées à l’ennemi, et dans les deux camps les saloperies alternent avec les moments de bravoure et de sacrifices entre compagnons d’infortune.
La précision des descriptions, le soin pris par Norman Ginzberg pour glisser dans le cours de la narration des détails techniquement très étayés sur les tactiques et les capacités des armements qui s’affrontent, sont d’une réalité qui frise parfois le documentaire de guerre. Mais Norman Ginzberg ne se contente pas de donner à voir, à comprendre et à ressentir des émotions fortes. Il joue également sur un autre registre en racontant l’histoire de ces deux frères qui, confrontés à la mort, redoutant de se retrouver face à face, iront chacun au bout d’une forme d’introspection. Moments cruels, déstabilisants pour l’un comme pour l’autre et qui sont exacerbés par la découverte de leurs origines ainsi que par l’acceptation de leurs racines juives, jusqu’alors tues par leurs parents. Un thème qui devient le pivot central des derniers chapitres du roman.
Fidèle à sa vision non manichéenne des hommes, l’auteur brosse des portraits complexes de ses personnages. Les notions de bien et de mal se relativisent, se conjuguent aussi parfois, et si on ne retrouve pas ici l’humour qui égayait les pages d’Arizona Tom, le livre gagne en profondeur psychologique, en brutalité aussi. Et ce ne sont pas les deux rencontres féminines croisées au cours des combats qui en émoussent la violence.
En s’attaquant à un sujet qui lui tenait à cœur, son propre père ayant participé au débarquement du 6 juin 1944, Norman Ginzberg décrit avec talent et émotion un jeu de massacre dont les quelques survivants gardent encore aujourd’hui gravés les éclats d’horreur dans leur chair et dans leur âme.
Un roman terriblement humain qui, au lendemain des célébrations du débarquement, vient au-delà de la fiction apporter un éclairage violent, mais sincère et intime sur ce que fut le D-Day et les jours qui suivirent pour les combattants de tous bords.
Catherine Dutigny/Elsa
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