Olga, Bernhard Schlink (par Marie-Pierre Fiorentino)
Olga, janvier 2019, trad. allemand Bernard Lortholary, 267 pages, 19 €
Ecrivain(s): Bernhard Schlink Edition: Gallimard
Olga ou quelques variations sur l’héroïsme.
À lire la première partie du roman, de facture classique, on se dit qu’il aurait pu s’intituler Herbert et Olga comme tant d’autres œuvres unissant pour l’éternité littéraire ceux que leurs parents ou les circonstances ont refusé d’unir dans le récit. Olga, une version de Roméo et Juliette mais à la campagne.
L’existence rurale avec ses pauvres, son hobereau, son prêtre, les rendez-vous en catimini dans les granges ou dans les prés, les médisances et les mariages arrangés : le tableau est complet, qui nous dit qu’en Poméranie comme ailleurs, les rêves forgés et les liens contractés dans l’enfance peuvent décider de toute une vie malgré la dureté de celle-ci et peut-être à cause – ou grâce – à elle.
Olga est donc d’abord un roman d’amour mais il s’avère vite qu’Olga n’est pas Juliette. Olga a une vie à vivre et entend bien, malgré les coups du destin, la vivre le plus librement possible. Contrainte par la réalité à rabattre de ses rêves, elle ne renonce jamais à les réaliser au moins partiellement.
« Les attentes que tu avais de la vie, tu les as développées pour toi, comme j’ai fait des miennes pour moi. Mais l’espace de l’amour, nous l’avons créé en commun, et là il n’est rien avec quoi tu resterais seul avec toi-même et je ne resterais seule de mon côté. Là tu m’es attaché comme je le suis à toi ».
Par conséquent le roman aurait pu s’intituler aussi Olga et Herbert car pourquoi l’homme passerait-il avant la femme ?
À cette question, le titre composé du seul prénom féminin Olga suggère qu’il n’y a, en effet, aucune raison, et l’auteur répond pareillement dans les deux parties suivantes du livre où Olga, au cours de sa longue existence, le pense aussi avec une pugnacité croissante. En témoigne la correspondance qu’elle adresse à Herbert.
Car au-delà d’être le personnage éponyme et donc « l’héroïne » du roman, Olga est une héroïne au sens où l’on dit des hommes qu’ils sont des héros. Elle parvient en effet, grâce à son intelligence et sa ténacité, à réaliser des projets modestes mais significatifs, impensables pour ses contemporaines de sa condition.
Sans prétention aucune mais sans fausse humilité, Olga se reconnaît comme une femme sortant de l’ordinaire d’abord malgré elle puis vivant sa différence, non pas par goût de la différence mais parce que suivre les normes proposées par la société l’empêcherait de devenir celle qu’elle veut être.
Féministe, dirions-nous aujourd’hui, elle est scandalisée par le mépris qu’essuient les femmes désireuses de s’élever par l’instruction. Le féminisme d’Olga n’est jamais loin du socialisme.
Certes son héroïsme n’est pas spectaculaire. Consistant à dépasser des limites supposées infranchissables, il ne demande pourtant pas moins de volonté et de sacrifices que l’héroïsme tel que la tradition le représente au masculin ainsi que Schlink à travers le personnage d’Herbert.
Olga, durant des années, se plaît à raconter au jeune Eik les exploits de son amoureux, soldat en Afrique du Sud puis explorateur en Amérique latine et au Pôle Nord. Elle est pourtant, au fil du temps, de moins en moins dupe.
La quête d’immensité d’Herbert n’est en réalité qu’une quête du vide entretenue par un mythe national : « la grandeur de l’Allemagne est un enfantillage monté en épingle ». Et Olga d’accuser Bismarck d’avoir cultivé le fantasme en créant, sur le tard dans l’histoire de l’Europe, la patrie allemande.
Olga dénonce le caractère soi-disant viril du nationalisme, impasse politique à l’origine des deux conflits mondiaux. Elle se moque de l’héroïsme de pacotille de son peuple, héroïsme aux sirènes duquel Herbert a succombé. D’ailleurs, cette histoire tiendrait presque de la guerre des sexes si l’auteur n’avait créé un autre personnage masculin pour réhabiliter, en quelque sorte, son genre.
« Je n’ai rien fait de grand. Je sais voir la grandeur chez d’autres, et j’aurais fait un bon biographe pour un ami du genre de Faust ou qui se serait risqué à l’Arbre de vie. Je n’avais pas d’ami de ce genre. Mais j’avais Olga, mes souvenirs d’elle m’étaient précieux, et être son biographe me suffisait ».
Ce narrateur a en effet connu, en RFA, Olga devenue une vieille dame sourde mais enjouée, plus déterminée que jamais à ne pas subir passivement son existence mais à en être l’actrice. Il est l’héritier de ses modestes biens et de son immense expérience transmise avec une affectueuse bienveillance. En devenant son biographe, il se rapproche d’elle au-delà du temps mais fait aussi triompher la mémoire des gens obscurs, habituellement occultée par celle des personnages illustres.
Récit d’un amour, Olga est donc aussi une histoire d’amitié indéfectible. Schlink sait y cultiver l’émotion, y ménager du suspense et nous faire sourire. Surtout, il offre un rôle magnifique à une femme et à travers elle aux femmes, héros dont l’histoire officielle ne veut pas.
Marie-Pierre Fiorentino
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