Oiseau-moi, Edith Azam (par France Burghelle Rey)
Oiseau-moi, avril 2018, 36 pages, 12 €
Ecrivain(s): Edith Azam Edition: Editions Lanskine
Le nouvel opus d’Edith Azam s’ouvre sur un vers performatif qui, en même temps que la parole, fait naître, dans son identité, celle ici d’un oiseau, celle qui semble bien le double de la narratrice, comme l’indique le titre formé de chaque côté du trait d’union des deux termes équivalents. Il convient également de rapprocher deux noms, celui d’Hannah, premier mot de l’incipit, et le patronyme Azam. Tous les deux sont d’origine hébraïque puisque l’un est issu de l’hébreu et signifie « grâce », mère du prophète Samuel ou de la Vierge Marie selon les testaments, et le second est une variante régionale du nomde baptême Adam.
Dans son recueil précédent publié en 2015 chez POL, Edith Azam a déjà donné à une autre un nom, éponyme du titre, Caméra, qui comme il l’indique scrute lucidement la vie et, du même coup, le néant. Trouvera-t-elle dans ce nouvel opus une raison à espérer ? Car, avant encore, elle a écrit à propos de l’autre : « Il contamine notre espace, veut nous réduire à petit feu ».
Dès les premiers poèmes, apparaissent des affirmations de solutions possibles : l’eau, l’air, les éléments qui peuvent sauver et, au milieu d’eux, le corps, évident, avec ses souffrances, qui entre en résonance avec les mots malgré leur chute.
Un quatrième texte plus court – il y aura alternance dans l’opus entre des poèmes brefs et plus longs – évoque, de plus, une sorte d’apaisement même si reste encore une conclusion inquiète :
Hannah ne saura rien
de l’oiseau qu’elle me fait
Mais la vie est la plus forte, la double vie du corps et de l’esprit, et il ne s’agit pas de se laisser dévorer par la crise identitaire. Le « My Osotis » et le cri synonymique à son adresse « Don’t forget me », chez l’auteur qui fait des lectures publiques, prouvent que la nature dans ce qu’elle a de plus beau, les fleurs, et la musique, avec le choix de la belle langue anglaise, révèlent à la fois la peur de l’oubli et l’élan vital d’une poésie adjuvante.
Alors la nécessité absolue
d’inventer ce poème…
c’est toujours
le langage
une question
de mort.
Donc, au cœur de la vie, comme des boucliers, les mots sont l’essentiel. Il y a même urgence car ceux-ci non seulement nous sauvent mais aussi créent la vie en inventant, par exemple, « des ruisseaux ». Ainsi « le grand marronnier (qui) m’ébouriffe la cervelle » – il participera à la fin du recueil à la définition de l’identité – est-il, grâce à ses racines, le meilleur des compagnons. La Nature, inspiratrice, est, ontologiquement, rédemptrice. Elle est conjointe de l’amour : « tous les oiseaux / je les embrasse ». Oiseau éponyme pour moitié du titre.
Alors, en un sursaut où le lyrisme a une certaine part, se lève un hymne à Hannah qui se termine ainsi :
Hannah Hannah
my Osotis
my mokingbird
beso beso
osotis mine
otro beso
ma Segnorita :
Uccellina !
On sait que Edith Azam est volontiers performeuse et soutenue par des poètes comme Julien Blaine et Charles Pennequin. Et on pense aussi à son travail en binôme avec la chorégraphe Muriel Piqué en lisant ces derniers vers qui sont, dans leur célébration, comme autant de pas de danse. Confirmation est faite de ce constat dans les pages de la fin avec ces deux vers :
C’est Hannah qui dessine (la poète aime le dessin comme aussi le jardinage)
c’est elle qui fait tourner.
Hannah est celle qui danse
et fait danser la Seine.
Puisque, à la fin de la première partie, vivre « Es un decir ? » c’est-à-dire « Est-ce une façon de parler ? », l’aveu pressenti retentit dans l’excipit de poème comme un cri encore :
You r’ my danger
Hannah
and you’r…
my poetry.
Hannah représente bien la poésie elle-même et je suis, si je suis poète. Scribo ergo sum. Edith Azam arrive en fin de parcours initiatique, au bout de sa route identitaire. Elle ajoutera plus loin – cela a été évoqué au-dessus – pour parler encore de son arbre aimé : « Je suis un marronnier ». Démiurge par sa parole elle est également Pan et participe de l’univers divin, ajoutant : « ma tête est un caillou / mon caillou / un ruisseau ».
Découverte qui n’est pas sans risque car créer est éprouvant et peut même provoquer la peur. Une question relance la réflexion qui n’était pas à son terme : comment trouver, en effet, un modus vivendi à la fois dans le temps et l’espace quand
J’ai mon oiseau en pleurs
qui hoquète malade
de mai jusqu’au pôle nord. ?
Car si « les mots s’effacent » et que, d’autre part, « Il y a tant à dire », il s’agit de se « trouver un autre : / langage » et d’affronter le vide. Et cela, en se débattant au milieu des coups de becs et des craquements d’os qui font surgir encore des questions. Aussi faut-il envisager la fin du recueil comme une supplique à Hannah, son alter ego et son soutien dans la précarité et dans cette peur du changement des choses.
France Burghelle Rey
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