Oh, les filles !, Philippe Lacoche (par Murielle Compère-Demarcy)
Oh, les filles !, Philippe Lacoche, éditions Héliopoles, octobre 2023, 176 pages, 17 €
Quel est ce fin renard pêcheur à la ligne illustré en première de couverture par Victoria Le Stunff, au bord de ce qui ressemble aux étangs de Commelles situés en Picardie, et qui paraît avec son air goguenard nous jeter un œil complice ? N’a-t-il pas l’allure de notre Marquis des Dessous chics alias Philippe Lacoche ou Ph. L., si admirateur de la gent féminine (filles, femmes, « héroïnes parfois ; seconds rôles, souvent ; simples profils… qu’importe ! ») et si féru de pêche à la ligne ?
Cette fois, le journaliste romancier et parolier, auteur d’une quarantaine de livres, nous invite à pousser la porte de nouvelles littéraires où ce sont bien les femmes qui tirent les ficelles des textes comme du destin des hommes qui les entourent. Se permettant d’emprunter ce titre, Oh, les filles !, à la célèbre chanson des Pingouins, œuvre d’Eddy Vartan et de Marty Robbins, immortalisée par le groupe
Au Bonheur des Dames au milieu des seventies, le parolier et collaborateur de Best, magazine musical français spécialisé dans le rock, nous offre ici une composition d’histoires courtes « à la hussarde », passionnantes et passionnées, dont les figures féminines ont la saveur aléatoire et succulente de l’inconstance, qu’elles se prénomment Armande (femme de médecin délaissée), Charlotte (« trentenaire attirée par les vieux »), Agathe (« jeune emmerdeuse qui martyrise son mari débonnaire et âgé »), Roselyne (l’épouse infidèle), Aigreline (présidente de l’association de gestion d’une maison de retraite), Djamila (« la Jane Birkin d’Oran »), Longue Liane, jolie et sensuelle chanteuse ; Prunelle « et son cul en mal d’enfants »…
Notre bougre d’auteur allumeur de La lune des Pirates ou du BDM (lieux en mots dits non maudits mais mythiques de la chronique des Dessous chics et des soirées lacochiennes…) ne cherche aucunement à redorer sa réputation au regard des prudes dans ce livre. Quel hussard et quelle plume ! « Philippe Lacoche est un grand nouvelliste français d’aujourd’hui », affirme l’écrivain Jacques Darras. Le langage de PH. L. nous régale toujours de ses traits d’humour, de ses touches coquines voire libertines, de ses images pittoresques « dans le style Lacoche » reconnaissable entre tous.
Il y a une couleur locale dans les livres de Lacoche :
Janvier recouvrait le village d’une croûte de froidure. La terre prenait des couleurs de pudding ; le layon, qui menait à notre maison, figurait un lacet de sucre glacé.
Il y a une atmosphère dans l’univers fictif de Lacoche. Une ambiance comme une brume d’automne posée doucement sur l’absurdité de la vie ordinaire. Ou des traits plus mordants, plus incisifs. Car le séducteur a le verbe cuisant et séduisant. Et s’il demande « l’indulgence » à ses lecteurs/à ses lectrices… c’est qu’il sait les foudres que pourraient lui attirer ses histoires si peu morales pour les âmes rigides, comme ses estocades descriptives parfois (elle avait « une bouche de salope repentie », dit-il d’une certaine Agathe). Ses nouvelles littéraires enroulent l’intérêt du lecteur comme des lianes figurant pour lui les jambes infinies d’une fille sensuelle. On entre dans le récit, on se laisse séduire par l’ambiance, les mots, et l’univers immersif nous emporte dans la situation fictive avec un plaisir incontestable. Malgré nous et peut-être bien malgré lui à l’instar de Kléber Pindard.
(Il) ne s’était jamais considéré comme un séducteur, un coureur de jupons ou un étalon. Séduire nécessite une concentration, un travail, tout ce qu’il détestait le plus au monde.
Kléber aimait ne rien faire, contempler la vie et la nature, s’adonner à la pêche à la ligne, boire des verres et se laisser imprégner par l’ivresse bienfaisante, puissant éther qui anesthésiait l’absurdité infecte de la vie et ses stupides conséquences inéluctables. Il se laissait vivre, lançait sa ligne dans les eaux incertaines des aventures et attendait. Les femmes venaient à lui comme des perches autour d’une cuiller argentée. Il les aimantait. Il n’avait plus qu’à ferrer ; à ce petit jeu, il ne revenait jamais bredouille.
Du pur Lacoche…
Qu’elles soient paumées, égarées à l’automne de leur vie ; perdues dans l’océan de leurs rêves mal éteints ou trop grands ; qu’elles « bovarysent » comme Armande Chantevogue, volage par dépit ; qu’elles soient délaissées, « emmerdeuses », abandonnées ou seules – les femmes dont Lacoche tire le portrait ici sont touchantes et nous les regardons ainsi, avec complicité ou tendresse. Une situation subtilement décalée surgit parfois, comme un « paradis » existerait contre toute attente pour la femme « emmerdeuse » dont le mari s’est débarrassé ou pour une « salope repentie ». Un peu de la pièce de théâtre L’écharpe rouge à la cocasserie déroutante et au réalisme subtil perce dans ces nouvelles littéraires hissées jusqu’au « Paradis des emmerdeuses ». Le style Lacoche y est forcément pour quelque chose, nous tirant par la manche l’air de rien et nous murmurant : « Venez voir, c’est par ici que la vie se passe ».
Ph. L. n’est pas un mélancolique, mais un nostalgique, et ces femmes des Seventies nous renvoient cette ambiance saisonnière un rien automnale du cœur reflétée par le miroir d’un nouvelliste au faîte de son art. Lire des nouvelles de Philippe Lacoche, « cela fait un bien fou », pour reprendre à notre façon les propos d’un personnage. Une lueur s’allume dans la tête du lecteur au fil de ces histoires ordinaires empreintes d’une tendresse à hauteur de femmes, de « celle qui réchauffe l’âme ». Histoires réalistes, contextualisées par des références ou des clins d’œil reçus par le lecteur contemporain :
Ils se rendirent compte qu’ils partageaient un goût prononcé pour Michel Houellebecq, dont le roman Anéantir, sorti cinq ans auparavant, les avait bouleversés. Ce fut lors de l’évocation du créateur des Particules élémentaires que Sébastien distingua dans le regard de Charlotte une lueur qui ne trompait pas (…).
L’époque était devenue folle, gangrenée par un courant ultra-féministe qui balayait tout sur son passage. Chaque semaine des centaines d’hommes se retrouvaient invités à comparaître devant les tribunaux de grande instance, prévenus pour harcèlement, simplement pour avoir osé envoyé un SMS à une dame qui considérait qu’elle n’avait pas à tolérer une invitation à dîner « d’un phallocrate moyenâgeux ».
C’est tendrement humain. C’est stylé. Cela a du caractère comme un bon vin peut être typé et se singularise par son originalité propre. C’est du Philippe Lacoche.
Murielle Compère-Demarcy
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