Œuvres romanesques précédées de Poésies complètes, Blaise Cendrars en la Pléiade
Œuvres romanesques précédé de Poésies complètes, Edition établie et présentée par Claude Leroy, 2 volumes, 115 € (jusqu’au 31 mars 2018)
Ecrivain(s): Blaise Cendrars Edition: La Pléiade Gallimard
« Je resterai ma vie durant
à regarder couler la Seine…
C’est un poème dans Paris »
(La Seine, Poèmes tardifs).
Blaise Cendrars fait une nouvelle apparition dans la Bibliothèque de la Pléiade, avec deux volumes d’œuvres romanesques et poétiques, aux mille éclats de paillettes d’or. En 2013, Gallimard publiait deux premiers opus, consacrés aux Œuvres autobiographiques – si essentielles à l’écrivain voyageur : L’Homme foudroyé, La Main coupée, Bourlinguer, et Prière d’insérer. Le Tour du Monde poétique et romanesque du poète armé du bouclier de son œuvre (1) s’achève. L’arpenteur, le guerrier du présent, le bourlingueur lettré, l’engagé volontaire, nous livre ses Mémoires d’outre-vie composées sur le vif du sujet, sur le motif, à la manière de Cézanne et c’est admirable.
« L’air est embaumé
Musc ambre et fleur de citronnier
Le seul fait d’exister est un véritable bonheur »
(Léger et subtil, Documentaires, Îles).
Blaise Cendrars trace de courts poèmes, ce sont des saisissements, des bouquets, des éclats, des éblouissements, avec un style d’une pureté cristalline. Qu’il prenne un train suspendu dans le vide, qu’il assiste à Bahia au coucher du soleil, qu’il salue Guillaume Apollinaire : « Apollinaire n’est pas mort / Vous avez suivi un corbillard vide / Apollinaire est un mage / C’est lui qui souriait dans la soie des drapeaux aux fenêtres… », en toute situation, il écrit par besoin, par hygiène, comme on mange, comme on respire, comme on chante, et c’est à chaque fois surprenant, vif, juste, musical, accordé, et très finement composé. Blaise Cendrars se saisit d’histoires comme d’une cigarette, des histoires qui nourrissent l’Histoire, il se les approprie, les transforme, leur donne cette patine unique. C’est ici, l’histoire du général Johann August Suter, cette merveilleuse histoire américaine, cette merveilleuse histoire californienne, c’est la conquête de l’Ouest, et sa conquête de la littérature d’aventure, c’est là, celle de Jean Galmot dans le volcan guyanais. L’écrivain aux mille vies, aux mille aventures, plus fausses les unes que les autres, et donc plus vraies les unes que les autres – le mentir-vrai de Louis Aragon –, ne boite jamais, même s’il doute, même s’il frémit, il ne chute pas, et même après avoir perdu son bras droit à la guerre, il écrit. Il écrit comme si sa main gauche était double. « Son corps imaginaire est devenu tout puissant » (2).
« L’Ouest ? Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi y a-t-il tant d’hommes qui s’y rendent, et qui n’en reviennent jamais ? Ils sont tués par les Peaux-Rouges ; mais celui qui passe outre ? Il meurt de soif ; mais celui qui traverse les déserts ? Il est arrêté par les montagnes ; mais celui qui franchit le col ? Où est-il ? Qu’a-t-il vu ? Pourquoi y en a-t-il tant parmi eux qui passent chez moi qui piquent directement au nord et qui, à peine dans la solitude, obliquent brusquement à l’Ouest ? » (L’Or, La merveilleuse histoire du général Johann August Suter).
Chez Blaise Cendrars, l’aventure romanesque se nourrit du récit, et les récits deviennent des romans, des poèmes, des éclats de vérité. L’écrivain a su voir et bien voir ce qui s’ouvrait sous ses yeux, ce que tout cela recélait de romanesque pour enflammer son corps, il a su entendre cette musique romanesque aux éclats d’aventure, pour en faire des romans sans graisse, des romans qui sonnent comme des combats de boxe. Il a su entendre la rumeur d’histoires qui se racontaient ici et là, si près, si loin de sa terre, dans l’Ouest, le vrai. L’Or, La merveilleuse histoire du général Johann August Suter en est la vérification stupéfiante, il saisit ce mouvement de l’histoire de l’Amérique, il était une fois cette Amérique sous sa plume, celle des chercheurs d’or, des émigrants, les naufragés, les malheureux, les mécontents. Les hommes libres, les insoumis. Comme chez l’immense John Ford, il était une fois l’Histoire de l’Amérique, les histoires de l’Amérique, avec ceux qui la font et la défont, avec les glorieux et les traîtres, les joyeux et les sombres, les aventuriers et les roublards, une histoire qui se raconte à hauteur d’homme. Il était une fois l’histoire de la littérature vivante et frémissante, Blaise Cendrars s’y tient debout, comme s’il cherchait l’or du temps.
« Dans une baie
Derrière un promontoire
Une plage de sable jaune et des palmiers de nacre »
(Du monde entier au cœur du monde, Plage).
Philippe Chauché
(1) « Un artiste n’est jamais cerné, il n’est jamais réduit à se rendre, son ultime défense n’est jamais conquise, il peut toujours inventer une nouvelle parade en créant. Un poète n’a de bouclier que son œuvre », Blaiser Cendrars au Père Bruckberger, cité dans l’excellente préface de Claude Leroy.
(2) Pierre Michon
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