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Œuvres, Georges Perros (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx 26.11.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Poésie, Gallimard

Œuvres, Quarto, novembre 2017, 1600 pages, 32 €

Ecrivain(s): Georges Perros Edition: Gallimard

Œuvres, Georges Perros (par Philippe Leuckx)

 

Georges Poulot, un jour de 1953, devint Georges Perros. Ainsi la NRF voulait-elle éviter une confusion avec les articles signés Georges Poulet, critique belge. Le comédien, ami de Gérard Philipe, et du même cours (Denis d’Inès, professeur) que Dany Robin, quittait le monde du théâtre pour entrer de plain pied en littérature, tout d’abord comme critique littéraire de la fameuse maison sise rue Bottin, ensuite, mais à son cœur défendant, en tant qu’écrivain, auteur de notes, d’aphorismes, poète. Il acceptera d’être publié en 1960 : Papiers collés. On lui proposait cela depuis 1956 : recueillir ses notes de travail, ses aphorismes. La Bretagne lui colle à la peau, la poésie aussi. Retiré en Bretagne, il y apprendra les leçons essentielles du silence et de la mer. Œuvres rassemble l’ensemble des textes critiques et poétiques de Perros, les uns édités de son vivant, les autres, posthumes, ou encore recueillis dans ses journaux, ses carnets, ses correspondances.

Thierry Gillybœuf, au-delà de sa préface, de sa biobibliographie illustrée de Georges, introduit chacune des œuvres du poète et professeur (à Brest).

L’expertise de Perros se signale dès les tout débuts de sa carrière littéraire : l’acuité, l’analyse incisive et plurielle des œuvres soumises à sa sagacité, la longue et pénible fréquentation des manuscrits à lire pour exhumer le chef-d’œuvre attendu, le regard vif sur les auteurs vénérés (Paulhan, Butor, Léautaud, Lambrichs, Michaux) offrent à ses articles et notes de lectures une authentique leçon de critique, dans une langue exemplaire de netteté, de souplesse, de vérité. Perros est un lecteur hors pair.

Une vie ordinaire (1967), autobiographie en octosyllabes, en longs poèmes sur près de cent pages (pp.675-773) déroule une grande liberté de ton, un humour décalé, une grande lucidité à son endroit, « Ici naquit Georges Machin », un détachement qui tient sans doute d’un regard quasi entomologique sur une vie, de la « mansarde » des débuts jusqu’aux « petits bébés du néant » qui « s’en pourlécheront les babouines ». Le livre rend compte sur le vif, et avec un sens aigu du rythme qui emballe et les événements et la lecture par nous lecteurs d’une vie offerte sur la planche des jours, pourrait-on dire.

L’intérêt dépasse les qualités prosodiques, celles des métaphores, des inventions verbales, les raccourcis, il tient aussi à la manière unique d’introduire dans la fiction les matières mêmes d’un parcours : ainsi défilent les professeurs du Conservatoire et/ou sociétaires de la Comédie française, Debucourt, Clariond, les poètes aimés (Jouve), sa vie intime. Tania (« On s’est marié l’an dernier/ en mil neuf cent soixante-trois/Tania et moi dans le quartier/ Elle pleurait le maire aussi »), ses enfants, sa vision du monde : « Ce qu’est un homme dans la vie/ m’importe peu. C’est son envie/ d’être autre chose qui m’excite »)…

Les aphorismes, à côté de ces poèmes filiformes gorgés de naturalisme et de bon sens, tissés d’existence drue, sont l’autre part d’un talent qui sait aussi décaper par une densité de tous les instants :

 

« Le vrai temps est nocturne. Je remonte ma montre le soir » (Papiers collés, 1960, p.429)

« Le drame c’est que nous sommes toujours ce que nous sommes en dernier lieu. C’est pourquoi les autres ont du retard. Quand on parle à un écrivain de son dernier livre, lui l’a déjà oublié » (ibid., p.440)

« Il faut écrire pendant que c’est chaud » (p.442)

« Mentir, c’est diviniser autrui » (p.453)

 

Papiers collés II (1973) « J’écris à la voile. Il y a relais. Je laisse la plume à quelqu’un qui ne sait d’où vient son nom, qui vit grâce à un corps qu’il n’a pas choisi ». Ainsi, en écriture, « il ne se sent plus », comme « expulsé de lui-même ».

« Se lever le matin est acte d’orgueil ». Dans l’intense énoncé, c’est la manière Perros de ramasser la réalité avec une économie verbale qui fascine.

Ce nouveau livre de 1973, recueille (le mot ne peut être mieux adopté) les aphorismes, les notes sur Valéry, Eisenstein, Mallarmé (« a la mort dans la peau » et le rien), le travail sur l’écriture (« On n’écrit pas comme on voudrait écrire. On écrit comme on peut »), les poèmes (« Le ciel ne respirait plus que par habitude »), Bach, Borges, Ponge (« Vous êtes un homme d’éthique »)…

« Ecrire, c’est dire quelque chose à quelqu’un qui n’est pas là. Qui ne sera jamais là. Ou s’il s’y trouve, c’est nous qui serons partis » (Papiers collés II, p.926).

De nombreux carnets inédits (par année) proposent une autre manière de s’immiscer dans une conscience nette, étrangère au bluff, à la notoriété, au paraître, à la société littéraire, bref, totalement indépendante, d’une lucidité effrayante (« La mort nous laisse vivre/ comme on laisse un homme ivre/ sortir seul dans la rue/ priant Dieu qu’il se tue », in Papiers collés III, 1978, éd. posthume), pavésienne.

Le mot de la fin, dans les ultimes textes retrouvés, cette considération nihiliste en matière d’amitié :

 

J’ai serré la main de Michaux

Un après-midi de cocktail

À Ville-d’Avray. Il avait

Un bout d’ouate dans l’oreille

Droite ou gauche, j’ai oublié

Je vous présente Georges Truc –

Monsieur – Et voilà. C’est navrant

De se trouver devant un homme

Qu’on admire et d’en être là

À ne remarquer qu’une oreille

Qui ne vous écoutera  pas

Je crois que la littérature

N’est pas très bonne conductrice

De l’amitié, quoi qu’on en dise (p.1525)

 

Inépuisable. Dans son Dictionnaire de littérature française contemporaine, extraordinaire outil de référence, publié chez Delarge, en 1977, coécrit avec C. Bonnefoy et D. Oster, Tony Cartano, présentant le « marginal » Perros, disait : « Il ne manque pas une occasion de se singulariser, de marquer la différence, de s’écarter des modes, car tout, chez le poète, lui paraît inapte à s’adapter au milieu ambiant ». Bien vu.

D’une culture immense, Perros a vaincu la solitude foncière par une œuvre miroir de ses propres fragilités.

 

Philippe Leuckx

 


  • Vu : 1938

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A propos de l'écrivain

Georges Perros

 

Georges Perros (né Poulot) en 1923 à Paris. Il meurt d’un cancer à 55 ans, en 1978. Il n’a publié de son vivant que cinq livres (de 1960 à 1977) : Papiers collésPoèmes bleus (1962), Une vie ordinairePapiers collés II, ces quatre titres chez Gallimard, Echancrures (chez Calligrammes). Prix Max-Jacob 1963. Prix Larbaud 1973.

 

A propos du rédacteur

Philippe Leuckx

 

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Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise

Genres : romans, poésie, essai

Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...