Œuvres complètes, tome IX, 1905-1907, Joris-Karl Huysmans, Classiques Garnier (par Gilles Banderier)
Œuvres complètes, tome IX, 1905-1907, édition Jean-Marie Seillan, août 2020, 592 pages, 29 €
Ecrivain(s): Joris-Karl Huysmans Edition: Classiques Garnier
Quoi de neuf ? Huysmans. Celui que l’on considérait comme un épigone doué quoique bizarre de Zola connaît un regain de faveur qui, comme toujours, en dit plus sur notre époque que sur l’écrivain lui-même (considérer le succès de Jane Austen, à qui les manuels de littérature ne consacraient que quelques lignes voici cinquante ans). En 2015, Michel Houellebecq avait fait du héros (peut-être le terme n’est-il pas bien choisi) de Soumission un universitaire, spécialiste de Huysmans. Suivirent un beau volume à la Bibliothèque de la Pléiade (2019) et, à présent, un ensemble d’Œuvres complètes (la précédente édition unitaire des textes de Huysmans avait paru il y a près d’un siècle).
Malraux disait que la mort transforme la vie en destin. Qu’en est-il de l’œuvre ? Car nous commençons par la fin, le tome IX, qui rassemble les deux derniers titres de l’écrivain parus de son vivant : Trois églises, et Les Foules de Lourdes. L’espoir n’est jamais tout à fait interdit, mais Huysmans, dévoré par le cancer, avait de bonnes raisons de penser que ces livres seraient les derniers qu’il écrirait. Il s’éloigne du roman, genre qui l’avait fait connaître, même si Les Foules de Lourdes sont en grande partie écrites contre un roman de Zola, son ancien maître.
Si l’on voulait comparer l’œuvre de Huysmans à une cathédrale (une comparaison particulièrement appropriée), Trois églises ferait figure de chapelle latérale obscure, où seul le sacristain s’aventure. L’écrivain appréciait les églises sombres et peu fréquentées, voire pas fréquentées du tout, où l’on peut se recueillir en paix. Il décrit à sa manière, c’est-à-dire non sans digressions, trois édifices parisiens, Saint-Merry, Saint-Germain-l’Auxerrois et Notre-Dame de Paris, où il s’attarde sur le « symbolisme » du monument, puisant à pleines mains dans des écrivains médiévaux oubliés, découverts à la faveur de séjours dans les bibliothèques monastiques.
Le goût de Huysmans pour les églises vénérables, anciennes, sombres et vides de monde aurait dû en principe le tenir à l’écart du sanctuaire de Lourdes, l’antithèse à peu près complète de ce qu’il appréciait. Non seulement il s’y rendit et y séjourna, carnet en main, un certain temps, mais encore il lui consacra son ultime livre. Pour un catholique, Lourdes est un endroit où il faut s’être rendu au moins une fois dans sa vie. Peut-être Huysmans espéra-t-il secrètement y trouver un soulagement, sinon une guérison, à ses maux physiques. Mais il était autant un croyant qu’un écrivain, désireux de rompre des lances avec Zola, qui avait publié un roman sur le pèlerinage pyrénéen. Les Foules de Lourdes sont dans une bonne mesure écrites contre le maître disparu. Cela étant, comme catholique, Huysmans se montra étonnamment mal disposé à l’égard du sanctuaire, où tout semblait fait pour lui déplaire : l’architecture, la foule, les malades les uns plus atteints que les autres (on ne va pas à Lourdes se faire guérir d’un rhume), décrits avec un grand luxe de détails (un héritage du naturalisme), lesquels parurent choquants aux yeux des revues qui publièrent les « bonnes feuilles » en supprimant plusieurs passages. Tout le livre hésite entre fascination et répulsion, même lorsque Huysmans envisage la figure de Bernadette Soubirous, cette jeune bergère dont la famille vivait dans des conditions de dénuement inimaginables de nos jours, en France du moins. Des bibliothèques entières, de l’exécration à l’exaltation, ont été consacrées à cette jeune femme morte loin des Pyrénées, paradoxalement opaque à force de transparence, d’abandon et de simplicité.
On ne peut que louer le travail éditorial accompli par Jean-Marie Seillan, qui connaît tout ce que Huysmans a écrit, ce qui est publié et ce qui ne l’est pas, les carnets et la correspondance inédits, et on ne prendra guère de risques en qualifiant cette édition de définitive, en se bornant toutefois à exprimer un regret : les variantes textuelles sont placées en bas de page et les notes explicatives rejetées à la fin des textes. Peut-être eût-il été préférable de faire l’inverse.
Gilles Banderier
Jean-Marie Seillan est professeur émérite de littérature française à l’Université de Nice.
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