Ode au recommencement, Jacques Ancet (2ème article)
Ode au recommencement, Lettres Vives, 2013, 100 pages, 20,70 €
Ecrivain(s): Jacques Ancet
A l’occasion de la reprise d’Ode au recommencement (poème dansé) au Croiseur (Lyon) le 11 et 12 mai 2016, Jacques Ancet, spectateur de son texte : « Une chose de bouche, de chair, de mouvements, d’air, de sonorités où ne cesse de se chercher, se perdre, se retrouver l’irrésistible élan de cet inconnu qu’on appelle la vie ».
« Les canettes de couleur »
Le poème, l’ode se lisent, se disent, s’accompagnent de musique, s’entendent et s’écoutent. Gislaine Drahy (fondatrice de Théâtre Narration) découvrit les versets de Jacques Ancet, les lut, s’en fit une matière intime en les apprenant par cœur comme autant d’exercices spirituels. La lectrice redevint comédienne pour faire résonner, entendre « le bruit des syllabes frottées, le ressac des images de la phrase » comme le dirait l’auteur lui-même, sur le plateau.
La comédienne, le chorégraphe/danseur (Frédéric Cellé), et le musicien Alain Lamarche en firent un poème dansé.
Nous sommes, nous les spectateurs, les auditeurs, alignés tout autour d’un rectangle noir, bordé d’une ligne blanche : espace quadri-frontal du dire, des voix et des corps. Le plateau ainsi s’affirme comme un ring à l’intérieur duquel vont se jouer les corps-à corps de l’homme et de la femme, de la danse, et de la poésie des mots. Une allée, une route (odos, en grec ancien et moderne, a ce sens) bordée de canettes de soda vides, de canettes colorées, légères, fragiles tout d’abord infranchissables et peu à peu déplacées, entassées, bousculées, jetées en l’air comme l’ordre et le désordre du monde, celui de « l’île d’immondices au milieu du Pacifique, les kilomètres de plastique, notre legs aux siècles futurs » (chant III). La lumière qui ne s’éteint pas au-dessus du plateau éclaire ce perpendiculaire chemin qu’empruntent face à face d’abord, la comédienne et le danseur dans le silence. Ils se regardent, s’approchent l’un de l’autre, se font face, s’accroupissent, se déchaussent. Les gestes des bras font chorégraphie, entrée dans la chair du texte.
« Je reviens, j’ai été absent des semaines, le vent n’a cessé de souffler… » Les premiers mots que prononce Gislaine Drahy, anaphore du perpétuel recommencement articulée dans la douceur de sa voix. Revenir chez soi, reconnaître le monde dans sa permanence et ses changements. Revenir écouter le monde et écouter dans la salle du théâtre, les chants qui disent ce monde en lettres et en mots, en inflexions, en mouvements du corps du danseur qui roule, chute, se relève, étreint, resserre, semble se recroqueviller comme un enfant. Ce corps frappe le sol de son poids, souffle de ses halètements comme des bourrasques de vent parce qu’il est comme le long poème de Jacques Ancet, chose cosmique et charnelle. Il bouge et s’arrête et se remet à bouger. Il dit à son tour « je reviens ».
Le corps de Gislaine Drahy porte dans ses déplacements, ses élans, ses arrêts, ses abandons la force des images entendues. Au fond la poésie est aussi un ballet dans la force des portés virevoltants.
Des bruits, une mise en son parfois les rejoignent comme peut-être des échos du monde. Les canettes peuvent à leur tour faire de la voix parlée une autre matière. Les deux corps se rejoignent, front contre front, en un moment bref, de dire à l’unisson. Nous voyons, nous les spectateurs, ce que nous écoutons, qui est là sous nos yeux mais aussi dans l’abstraction du texte à l’état pur. Un critique, X. Bordes dit que l’ode au recommencement est un cerf-volant, quelque chose effectivement de visible mais de lointain aussi, d’inaccessible.
Quand le texte se précipite dans l’abondance de ses phrases, le crescendo alors s’opère à travers un micro. Tout revient mais change comme le surgissement de percussions. La voix redevient ensuite purement humaine et va jusqu’à perdre son corps pour n’être plus que voix off, fantôme sonore. « Je vais me taire » dit elle.
Au bout du chemin parcouru du spectacle et de l’expérience poétique, la comédienne et le danseur trouvent enfin comme une parfaite harmonie, deux corps parfaitement synchronisés dans le balancement des bras et leur rotation ; ils s’enfoncent dans le silence, dans l’obscurité du noir et du texte qui dit que tout peut recommencer.
Ode au commencement (poème dansé) a été créé en 2014, en coréalisation Théâtre Narration (Lyon) et le Grand Jeté ! (Cluny) au Croiseur à Lyon, retravaillé cette saison en accueil-studio aux Subsistances et à nouveau montré en mai au Croiseur/ Scène 7.
Il est possible de retrouver des passages du spectacle sur Youtube : http//youtube nQWnHXROZyK.
Dossier du spectacle téléchargeable sur le site Théâtre Narration www.theatrenarration.com.
Marie Du Crest
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