Oaristys et autres textes, Remy Disdero (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Oaristys et autres textes, Editions Cormor en Nuptial, 128 pages, 2018
Ecrivain(s): Remy Disdero
Les raisons de la colère
Remy Disdero fait pleuvoir des mots en gouttes de nuit. La neige elle-même y semble noire et parfois glisse en cascades et mouvements de foudre. Des soifs voudraient écrire des sources pour nager vers l’arbre-prière sur la brise des échoués. Mais ne restent au bas des pentes et des villes « que le froid de la nuit qui vient à ronger les peaux des clochards ».
Mais il convient toujours, face aux dissolutions, de retrouver une parole charnelle et se laisser faire par elle à la manière d’un Daumal le « funambule » ou de Michaux qui, quoique « bras cassé », resta à sa manière un Icare.
Même les petits bonheurs ne viennent plus de la nature. Celle-ci tourne à un certain désastre. Peu de princesses de l’azur : dans le puzzle humains, beaucoup de pièces sont noires. La paix est rarement au rendez-vous là où les chiens rodent.
Difficile pour le poète qui a connu bien des galères de retrouver l’enfant qui sommeillerait dans chaque pli de sa peau vieillissante. Les perdants ne sont plus magnifiques : l’homme est le peu qu’il est avec son corps « en plâtre mou » et son nez d’alcoolique. Chacun est un bout de bouc.
« Oaristys » est en partance avec le chaos. Parfois ouvertement, parfois insensiblement comme lors d’une fuite par une voie inconnue. Le futur n’est que la rengaine des ajournements quotidiens dans la chorégraphie branlante que compose l’abus du rouge et de la bière.
Disdero sait s’étendre sur le cosmos en se couchant sur les bancs de clochards. Il est capable d’épingler toutes les brûlures. Ses rêves et ses cauchemars font qu’il se retrouve en sueur aux rayons de la lune près de l’abîme d’un tombeau ouvert de toujours.
Dans le désordre universel, la poésie garde ici une perception frémissante qui voudrait oublier la science des larmes. Disdero y redevient verbe. Et dans la solarité noire d’une conscience habitée et ailée, il ne cesse de permettre à l’être de devenir qui il est : pas grand-chose quoique perché comme un coq sur le grand plongeoir des pendus de toujours.
D’où la question du qui nous sommes au plus intime de nos vacillements. Mais seule la poésie opère comme drogue extrême là où elle résonne au fond des tombeaux ouverts en évitant d’y sombrer pour l’instant – même si la terre aussi est trébuchet trébuchant. Disdero y campe au confluent de l’inconfort et de la fulgurance. Prêt à partir. Il est déjà non sous les toits mais dans la rue sans attendre l’ajournement de trop.
Jean-Paul Gavard-Perret
- Vu : 1999