Nuit Sauvage et Ardente, Parme Ceriset (par Patryck Froissart)
Nuit Sauvage et Ardente, Parme Ceriset, Editions du Cygne, janvier 2024, 100 pages, 10 €
Ecrivain(s): Parme Ceriset Edition: Editions du Cygne
Une femme qui marche, qui court, qui vole, solitaire, qui va droit devant, dans la nuit, dans le vent, dans les champs, dans la brume, dans l’eau des ruisseaux, dans les rues « où fourmillaient jadis le sens de la fête, la joie scintillante en pépites, la liberté des êtres », qui va, indomptée, sous des pluies de lave et de cendre, dans le flou du présent dans lequel elle est en mouvement et dans le trouble tumulte des souvenirs douloureux d’un passé tout récent, dans l’espace et dans le temps d’un décor torturé, chaotique, et dans l’atmosphère lourde, apocalyptique, de la fin d’un monde dévasté par les guerres.
Tel semble être le courant narratif de près des cent compositions poétiques constituant ce recueil.
Poésie fluide, libre, comme celle qui va, sans entrave, toutes chaînes rompues, qui traverse.
Qui fuit.
Femme sauvage, femme louve, qui hurle, farouche, Amazone, libre et nue, blessée, « belle, sensuelle », qui, d’emblée, entraîne le lecteur, la lectrice, dans le sillage de son cours effréné, sur quoi pèse la tragique évocation, éclatée, fragmentée, d’une existence fracassée.
« Ses plaies la tiraillent mais luisent de mille étoiles ».
Elle va, elle glisse, venue de « l’enfer de la guerre », elle danse aussi, assoiffée de liberté, alors que dans le vent qui « berce ses cheveux » lui parviennent immanquablement, insupportablement, « l’odeur des charniers et la rumeur des bombes ».
« Elle défie la mort et tous ses sortilèges ».
Partout « le pas des morts » accompagne sa trajectoire, de l’ombre surgissent et s’imposent les visions horribles, les odeurs putrides, les fumées des incendies, les explosions, les échos poignants de la tragédie qu’elle vient de vivre, de cet effroyable passé qui lui colle à la peau, de quoi elle veut se soustraire, s’extraire, se défaire.
Les thèmes récurrents, obsédants, qui marquent la première partie du volume, sont ceux de la mort, du feu, du sang, de la désolation, du cauchemar, de la terreur, de l’enfer, du désespoir, du couple éternel bourreaux-victimes.
A contrario, les leitmotivs qui font la tonalité dominante de la suite du recueil, sont ceux de l’évasion, de la fuite qu’on espère voir aboutir, de la liberté reconquise, de la redécouverte de la sérénité inaltérable de la nature loin du fracas des guerres, du retour de l’espérance, de la réapparition (de la résurrection ?) de l’être aimé, du bonheur qui pourrait renaître par la grâce de la puissance régénératrice de l’amour.
Alors surviennent des pages de passion amoureuse d’un lyrisme puissant, de scènes empreintes d’une sensualité exacerbée.
« Ils s’embrassent, s’embrasent,
Ils sont l’eau, le feu et la glace en fusion,
La danse endiablée des étoiles,
Un tourbillon de laves incandescentes… »
Mais la trêve est brève, ou n’aura été que rêve, qu’illusion, que fantasme. Hélas, le rideau noir de la fin de la sombre pièce dans laquelle l’homme joue le pire des rôles a repris sa chute.
« La guerre est revenue et les a rattrapés
Les voilà unis dans la mort, ils sont tombés
aux jardins de l’Eden perdu…
Assassinés…
Dans un dernier souffle s’envolent
les souvenirs de sa vie passée à l’attendre
lorsqu’il était au front sous les pluies assassines,
les malédictions
Cent fois elle a compté les dix plaies d’Egypte
Elle l’attendait avec ses dents de louve prêtes à le
défendre… »
Subsiste-t-il néanmoins quelque ultime note d’espoir ? Un possible sursaut de retour d’humanité ? La dernière page du recueil offre une réponse, ambiguë à souhait :
« L’oiseau m’a confié qu’il ne pourrait changer le monde
[…] Il m’a regardée et j’ai vu des larmes dans ses yeux
[…] Il m’a avoué qu’il avait peur
pour le rêve de fraternité
qu’il le savait menacé
qu’il avait une aile blessée…
Il faut me recoudre, m’a-t-il dit,
Et comme j’aimais le Poème,
Au fil des mots,
je l’ai suturé
Je l’ai regardé s’envoler à nouveau
[…] Dans la menace qui gronde
il continue de chanter ».
Alors ? La poésie ? Le poème ? Voilà, peut-être, ce qui nous sauvera.
Cette femme qui file, lâchant dans le vent les cendres incandescentes de l’enfer qu’elle fuit, irrésistiblement lancée à la poursuite d’un hypothétique retour de la vie heureuse, de la vie d’avant les guerres, vivant dans sa course un amour idéal, c’est la poésie dynamique, ce sont les mots que file avec talent une poétesse exprimant avec lucidité, dans une langue expressive à fort pouvoir suggestif, une vision du monde passablement tragique.
Patryck Froissart
Parme Ceriset née en 1979, est une poétesse française, auteure, romancière, critique littéraire, lauréate du Prix Marceline Desbordes-Valmore 2021. Elle vit entre Lyon et le Vercors. Livres : Boire la lumière à la source ; Femme d’eau et d’étoiles.
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