Nuit de foi et de vertu, Louise Glück (par Philippe Leuckx)
Nuit de foi et de vertu, Louise Glück, mars 2021, trad. américain, Romain Benini, édition bilingue, 160 pages, 17 €
Edition: Gallimard
Alternant les poèmes plus longs et les textes plus brefs, la poète américaine, lauréate du dernier Nobel de Littérature (2020), nous oriente vers une poésie qui camoufle l’autobiographie sous des dehors étranges, des récits qui ont l’apparence de l’invention et des souvenirs qui sentent le vécu. Le mélange, réaliste et fantastique, entre passé et rêve, retient toute l’attention. On y perçoit la sève de qui veut se plonger dans le passé et la volonté de sertir le tout des outils de la création et du regard en surplomb. Le titre du volume, qui fait tantôt intervenir un garçon, tantôt une fille, dont chacun a un frère ou une sœur, provient d’un titre lu par un enfant le soir.
À ce propos, que d’images de nuit traversent ce livre, plein d’inquiétude et de foi en un passé où s’agrègent les parents, les frère et sœur, une tante. On sent bien sûr le désir ici de faire de la poésie un tremplin spirituel vers des strates peu explorées ; en quoi la séance d’analyse éclaire vraisemblablement un travail sur ces matières essentielles pour l’auteure.
Les nuits donc sont fécondes et engendrent ce qu’elles enregistrent de plus nu, de plus vrai, qui sourd de l’existence.
L’analyste convoqué a peut-être rendu possible l’exutoire qu’est le livre, la réponse à tant de questions fondamentales.
Une temporalité étrange ordonne donc ces fragments d’un présent-passé que la langue poétique peut sans doute créer, quand le cœur est assez souple pour se fondre dans cette zone de soi, disparue, et pourtant pourvoyeuse de petites fêtes pour l’esprit.
Glück entreprend là une poésie assez moderne pour dire ce qui échappe à la raison et tout à la fois au destin du cœur ; elle tisse de longues laisses où la langue se prend comme à des rets, piégée et cependant piégeante pour le lecteur un peu abasourdi.
Certes, l’intimisme revendiqué, la stature des thèmes convoqués, l’étrange écriture des entrelacs de l’âme, la temporalité audacieuse, tout concourt à déstabiliser le lecteur épris de lyrisme facile et reconduit la lecture à un travail de sous-couches, qui puisse révéler l’urgence et la beauté de l’acte d’écrire, quand tout s’estompe dans la vacuité (mot qui revient saisissant), le brouillard, à l’aune des souvenirs flous.
Ne m’oubliez pas, m’écriai-je, quand je l’atteignis enfin.
Madame, dit-il, en me montrant du doigt les voies,
vous vous rendez sans doute compte que c’est ici la fin, les voies ne
vont pas plus loin (p.65)
Un beau de livre de poésie.
Philippe Leuckx
Louise Glück, née en 1943 à New York, est une poétesse américaine. Elle enseigne à Yale et à Stanford et vit à Cambridge (Massachusetts). Elle a publié douze recueils de poésie depuis 1968 et deux essais. Son œuvre a été récompensée par divers prix : le Pulitzer, le National Book Award, le Nobel de Littérature. Citons : L’iris sauvage ; The seven Ages.
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